La recherche d’un équilibre entre croissance économique et respect de l’environnement, responsabilité sociale et bonne gouvernance constitue une préoccupation ancienne. De cette dynamique est né le concept d’investissement socialement responsable (ISR). Cette forme de placement financier, qui connaît depuis quelques années un fort développement, s’inscrit dans une prise en compte des critères ESG (environnement, social, gouvernance) et évalue la qualité de la politique de responsabilité sociale des entreprises (RSE). Avant d’être investis, les fonds ISR passent ainsi par le double filtre des critères financiers et extra-financiers.
Historiquement, on trouve les premières formes d’ISR au sein de certaines communautés religieuses anglo-saxonnes et américaines œuvrant contre l’esclavage, la vente d’alcool, d’armes et de tabac. Les variantes entre les approches des investissements socialement responsables sont ainsi déterminées par les différences ou les priorités culturelles de chaque pays. En France, c’est ainsi la dimension sociale des investissements qui est privilégiée, alors qu’en Suisse et en Allemagne, ce sont les valeurs éthiques qui priment.
Différentes approches pour un même objectif
Les quatre principales approches de l’ISR démontrent que même si tous les investisseurs ne définissent pas de la même manière la finance responsable, quelques grandes lignes communes se dégagent. En France, par exemple, la méthode « Best in class », phénomène cent pour cent hexagonal malgré son nom, n’exclut aucun secteur pour comparer les pratiques des entreprises concurrentes. Cette approche très populaire (environ 40 % des encours selon Novethic, filiale de la Caisse des dépôts) est également répandue en Suisse. De leur côté, les fonds de placement scandinaves et anglo-saxons préfèrent exclure d’emblée les secteurs « non vertueux » pour privilégier l’approche d’exclusion normative regroupant les activités et acteurs qui respectent les normes et conventions internationales. Cette méthode s’avère également en constant développement en France et en Italie même si, pour la plupart des cas relevés, il s’agit de quelques acteurs qui l’appliquent à l’ensemble de leur gestion. L’engagement actionnarial, permet quant à lui aux investisseurs d’exiger des entreprises une responsabilité sociale par voie de dialogue ou par participation directe aux assemblées générales. Selon les résultats de l’enquête menée tous les deux ans par le Forum européen de l’investissement durable (Eurosif), l’approche d’engagement (ou l’activisme) actionnarial est surtout développée au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Norvège et en Suède. Enfin, l’approche thématique de l’ISR concentre les investissements dans les secteurs directement liés au développement durable (énergies renouvelables, traitement des déchets, prévention des risques de pollution, agriculture biologique, etc.).
L’ISR en France
Malgré un contexte de crise, le marché français de l’ISR se porte bien. Il représentait en 2012 un volume de 149 milliards d’euros (soit 100 milliards de plus qu’en 2009). Les investissements des assureurs, d’une part, et de l’épargne salariale des particuliers, d’autre part, continuent à tirer le marché vers le haut. Les encours par type d’investisseur sur le marché français étaient répartis comme suit en 2012 : près de 72 % d’investisseurs institutionnels (44 % de compagnies d’assurance privée, 17 % de fonds de retraite et prévoyance, 16 % de fonds publics, le reste se répartissant entre les entreprises, les sociétés d’assurance mutuelles, les fondations caritatives et religieuses, les associations, ONG et autres organismes), 17 % de particuliers et 11 % d’épargne salariale.
Alors que les investisseurs institutionnels sont de plus en plus sensibles à la cause ISR, le sondage réalisé en octobre 2012 par l’agence Ipsos pour le Forum pour l’Investissement durable, dans le cadre de la Semaine de l’investissement socialement responsable, fait apparaître une réelle méconnaissance des Français vis-à-vis de l’ISR. Ainsi, seulement 6 % des Français déclarent savoir ce qu’est l’ISR, 28 % indiquant en avoir déjà entendu parler et 66 % affirmant ne pas savoir ce dont il s’agit. Ces résultats sont paradoxaux dans la mesure où les Français semblent, toujours d’après ce sondage, accorder une importance notable aux critères que vise l’ISR. Ainsi, 52 % des Français disent accorder une place importante aux critères sociaux et environnementaux dans leur décision de placements, et 19 % se disent prêts à investir dans un fonds ISR (58 % se montrant indécis). Toujours selon ce sondage Ipsos, la labellisation de fonds ISR serait déterminante pour 55 % des Français. Des chiffres qui mettent en avant un problème de communication des acteurs financiers de l’ISR à destination du grand public.
Le principe de notation extra-financière
L’ISR repose avant tout sur un travail d’analyse et de notation des entreprises susceptibles d’être « labellisées », finalisé sous la forme d’une notation extra-financière. Celle-ci consiste en l’évaluation d’une entreprise fondée non pas uniquement sur ses performances économiques, mais également sur son approche des questions liées à l’environnement, sur son respect des valeurs sociales, sur son engagement sociétal et sa gouvernance interne (par exemple : la contribution à l’amélioration de la santé publique, l’adoption d’un code de conduite, la valorisation de la formation professionnelle, l’amélioration des conditions d’hygiène et de sécurité, le respect des droits de l’Homme, la mise en place d’une politique de protection de l’environnement, la lutte contre la corruption, etc.). Les méthodes de collecte et d’analyse de ces informations sont différentes selon les agences de notation. Certaines agences extra-financières reprennent le système de notation par lettre et signes « + » ou « − » des agences de notation financière. Ainsi, l’agence française de notation BMJ Ratings propose des notations extra-financières allant de DDD (note la plus basse) à AAA (note la plus élevée), agrémentées de signes « + » ou « − » selon la tendance prise par la société. D’autres agences de notation, comme Vigeo (fondée par Nicole Notat), utilisent des signes, de « ++ » pour les meilleures entreprises à « − − » pour les entreprises les moins bien notées.
La plupart du temps, une notation extra-financière est effectuée à la demande d’investisseurs qui veulent estimer la responsabilité sociale d’une entreprise avant de l’intégrer dans leurs portefeuilles. Une telle notation peut également être demandée par une entreprise qui souhaite connaître son positionnement en matière de responsabilité sociale, afin d’attirer de nouveaux investisseurs ou simplement communiquer sur ses performances sociales et environnementales.
Le système de notation extra-financière repose sur des agences a priori indépendantes. Parmi les principales, on trouve Core Ratings et Eiris, Trucost au Royaume-Uni, CAER en Australie et Nouvelle-Zélande, Vigeo et Ethifinance en France, Innovest et KLD aux États-Unis. Certaines de ces agences de notation sont spécialisées dans un domaine ou des critères particuliers (tel ou tel domaine d’activité, taille de l’entreprise, etc.). Si toutes les agences de notation extra-financière ne prennent pas en compte un même corpus de critères dans leurs analyses, certains facteurs d’évaluation demeurent communs, tels que la politique de ressources humaines, les relations avec les clients, les fournisseurs et les sous-traitants, le respect de l’environnement, la gouvernance d’entreprise, etc. D’autre part, certains secteurs d’activité constituent des facteurs d’exclusion de l’ISR, tels que le tabac, l’alcool, le jeu, le nucléaire ou encore l’armement. Sont également exclues les entreprises qui ont par exemple recours au travail des enfants ou pratiquent des tests sur les animaux. Ces critères peuvent être variables d’un pays à un autre et d’une agence de notation à l’autre. Enfin, pour établir ces évaluations, les agences de notation extra-financière s’appuient sur un ensemble de documents publics, notamment les documents obligatoires (liasses fiscales, bilan social, etc.), mais aussi sur des entretiens avec le personnel, des questionnaires envoyés aux entreprises et des rencontres avec la direction et l’environnement direct de l’entreprise (syndicats, ONG, fournisseurs, clients, etc.).
Les indices éthiques
Les indices éthiques représentent le socle sur lequel le système de notation des agences extra-financières repose. On compte quatre principaux indices en Europe, tous créés en 2001 : ASPI Eurozone (Advanced Sustainable Performance Indice) de l’agence de notation Vigeo (France), DJSI Stoxx (Dow Jones Sustainability Index) de l’agence de notation SAM (Suisse) ; ESI (Ethibel Sustainability Index) de l’agence de notation Ethibel (Belgique), FTSE4Good (Financial Times Stock Exchange) de l’agence de notation Eiris (Royaume Uni).
Certaines places de marché financières possèdent également leur propre indice. En octobre 2008, le groupe boursier NYSE Euronext a lancé l’indice européen « Low Carbon 100 Europe » en partenariat avec les ONG AgriSud, GoodPlanet et WWF. Cet indice retient parmi les 300 plus grandes entreprises européennes les cent dont l’émission de CO2 est la plus faible, puis mesure leur performance économique. Parmi les sociétés sélectionnées, on retrouve 16 entreprises françaises : Air France, ArcelorMitttal, Axa, BNP, Bouygues, Carrefour, EDF, Essilor, GDF-Suez, Peugeot, Kering (ex-PPR), Renault, Sanofi-Aventis, Veolia Environnement, Vinci, Vivendi). Autre indice boursier, le « Domini 400 Social Index » constitue le premier indice boursier éthique au monde. Créé aux États-Unis en 1990 par Amy Domini, il regroupe 400 entreprises selon deux critères : l’activité économique des entreprises (sont écartées celles liées aux secteurs du tabac, de l’alcool, du jeu, de l’armement ou encore du nucléaire) et leur politique en matière de respect de l’environnement, de mise en place de politiques de responsabilité sociale et de bonne gouvernance.
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