Le 29 novembre, lors de la Convention d’affaires de Biogaz Vallée, le thème de la valorisation du CO2 comme relais de croissance pour la méthanisation était débattu lors d’une table ronde. Valorisation locale, nouveaux usages, mutualisation des moyens pour une qualité alimentaire, des potentiels de valorisations qui devront s’appuyer sur une législation française en retard.
Nous travaillons depuis dix ans avec les acteurs de la méthanisation, indique Yann Lesestre, directeur Énergie du cabinet de conseil SIA Partners. Depuis deux ans, nous avons beaucoup de questions autour de la valorisation du CO2 biogénique émis par les unités de production de biogaz et voyons des projets se développer. Concrètement, le marché du CO2 actuel est d’environ 1 million de tonnes, surtout utilisées en agroalimentaire (boissons gazeuses, gaz réfrigérants, abattoirs, serres). Mais nous pourrions assister à une explosion de la demande avec les e‑fuel et les méthanes de synthèse composés avec de l’hydrogène et du CO2. Aujourd’hui, selon le territoire, les prix d’achat du CO2 oscillent entre 50 et 200 €/t pour un marché de 100 à 200 millions d’euros annuel.
Le cadre européen est très favorable aux e‑fuel, c’est un gros levier pour le marché du CO2. Mais un business model reste à définir car aujourd’hui l’approvisionnement est assuré par de gros sites (incinérateur, chaudière, papeterie, cimenterie). Pour la méthanisation, il faudra plutôt trouver des consommations « locales ».
Le coût de capture du CO2 industriel est d’environ 20 €/t, auquel il faut ajouter 80 €/t pour la liquéfaction, le transport et la distribution. Pour une unité de méthanisation de 250 Nm3/h, il faudrait compter environ 110 €/t de capture. Pour être compétitif, il faut donc impérativement que le marché de ce CO2 soit local afin de réduire les autres coûts. Par ailleurs, l’aspect qualitatif est également à prendre en compte. Pour un usage en agroalimentaire, le CO2 doit garantir des critères de pureté. Enfin, il faut pouvoir garantir la sécurité d’approvisionnement à partir d’unités dispersées (contrairement aux grosses unités industrielles) », précise Yann Lesestre qui pose d’entrée de jeu les problématiques de l’usage du CO2 provenant de méthaniseurs. Pour autant, la qualité biogénique du CO2 issu de la méthanisation justifierait une partie du surcoût, le cas échéant.
Production et consommation locales
« De petits consommateurs locaux se sont retrouvés en rupture d’approvisionnement de CO2, indique Baptiste Dubois, président de MD biogaz et de MD CO2, unité de méthanisation et de production de CO2 biogénique depuis 2021 à Bar-sur-Seine. Nous tendons vers les 100 % de valorisation du CO2 et avons travaillé pour sortir un CO2 de qualité alimentaire pour des petites unités locales sur lesquelles nous nous concentrons. Pour sécuriser l’approvisionnement et augmenter la production pour nos clients, nous sommes en train de mutualiser la capture de CO2 biogénique avec des projets de production d’autres unités de méthanisation qui développent en ce moment leurs captures de CO2. C’est un travail mené au sein de la filière. Avec 250 Nm3/h nous arrivons à un coût de production de 110 €/t. Des unités plus petites seraient pour le moment au-dessus du prix du marché, sans soutien financier. Mais indépendamment du prix, nous proposons une solution pour de petits consommateurs locaux. La grande industrie souvent lointaine a des coûts de transport importants et des fabricants d’engrais plus locaux ont diminué leur production et donc leur émission de CO2, d’où les ruptures en approvisionnement. »
Du béton « décarboné »
« La méthanisation représente de nombreux sites potentiels de CO2 mais qui sont diffus sur le territoire, explique Fabien Michel, fondateur de Voltigital. Nous avons travaillé sur un projet de minéralisation du CO2 qui réagit avec des déchets de bétons pour faire du carbonate de calcium. Voltigital va sortir rapidement un petit réacteur CO2/béton avant une unité commerciale de 1000 t/an en 2026. Grâce à ce process, nous rendons inertes les déchets de béton qui peuvent alors être réutilisés pour faire des sous-couches de routes ou en construction. Or il existe environ 800 sites en France pour gérer les 20 millions de tonnes de béton issues de la démolition. Cette répartition territoriale peut matcher avec celle des unités de méthanisation et ainsi assurer un débouché local, avec des coûts de transports minimes pour le CO2 issu de ces unités. Le granulat étant proche, il n’est pas obligatoire de le liquéfier. Avantage, outre l’amélioration de la qualité des bétons, cette minéralisation faite par un CO2 biogénique permet une séquestration du carbone. De ce fait, les acteurs de la construction améliorent ainsi leur bilan CO2, ce qui va être demandé à l’avenir, pour obtenir par exemple un label bas-carbone sur les bâtiments. Nous proposons aux unités d’être simplement acheteurs ou partenaires en codéveloppant leur capture de CO2. Je précise que pour l’usage béton, on peut même aussi travailler l’offgaz sans investissement, poursuit Fabien Michel. Donc la minéralisation du béton est une voie intéressante, notamment pour les petits producteurs qui n’auront pas d’investissement à faire. Notre process s’inscrit bien dans une économie circulaire : des bâtiments détruits localement minéralisés par une production CO2 locale. Sur vingt millions de tonnes de déchets du bâtiment, si seulement 5 % étaient minéralisés, un million de tonnes de CO2 seraient économisées !
Compensation carbone et qualité de CO2
« Le CO2 biogénique issu de la méthanisation permet de séquestrer du carbone, précise Karim Rahmani, président de Carbon impact, qui travaille sur la compensation CO2. Notre métier est de faire émerger des solutions d’émissions négatives de CO2 en travaillant avec les émetteurs sur la capture, le transport et le financement. Nous pouvons aider à valoriser le CO2 et développer un maillage sur toute la chaîne de valeur ».
« La capture de CO2 implique de s’équiper d’outils, indique Baptiste Dubois. Pour travailler dans l’alimentaire, nous devons être irréprochables au niveau de la qualité et de la pureté de notre CO2, ce qui implique notamment une analyse de ce gaz. C’est pourquoi nous nous sommes équipés d’un laboratoire adapté à ces analyses. Nous pouvons faire profiter de cet outil à toute la filière du biogaz car notre laboratoire accrédité Cofrac est habilité à certifier la qualité d’un CO2 avec des résultats en deux heures seulement, ce qui permet aux producteurs méthaniseurs de livrer leur client en CO2 sereinement. Jusqu’ici les seuls laboratoires se situaient dans la grande industrie avec des résultats donnés en deux ou trois semaines ! Notre filière doit s’organiser pour produire un CO2 de qualité contrôlé. La question de la valorisation du CO2 biogénique intéresse de nombreux acteurs pour réduire le taux de CO2. Il faudrait un cadre fiscal, un mécanisme de soutien, une évolution réglementaire, avec par exemple une possibilité d’injection de méthane de synthèse dans le réseau, poursuit Yann Lesestre, pour développer cette séquestration. Le cadre européen prévoit une incorporation de la part de carburant, par exemple dans l’aérien de 35 % en 2050. En France, nous sommes en retard sur le reste de l’Europe dans ce domaine. »
CO2 biogénique ou fossile Le CO2 biogénique est le CO2 qui a été capturé par les plantes à partir du CO2 atmosphérique sur une période récente. En effet, les plantes capturent le CO2 par la photosynthèse. Les végétaux contribuent à la diminution du stock total de gaz à effet de serre présents dans l’atmosphère, c’est l’effet “puits de carbone”. Le CO2 fossile est généré à partir des combustibles fossiles, c’est-à-dire du pétrole, du charbon ou du gaz naturel. La principale différence entre le CO2 biogénique et le CO2 fossile est donc l’origine de ce dioxyde de carbone. Une fois le méthane épuré pour être injecté dans les réseaux, il reste donc à disposition du producteur du CO2 biogénique de plantes (ou d’animaux ayant consommé des plantes). Les unités de méthanisation émettent et peuvent donc récupérer du CO2 biogénique, particulièrement intéressant en termes de bilan carbone. |