La méthanisation présente de véritables avantages pour les agriculteurs qui souhaitent se lancer dans une activité créatrice de valeur. Elle répond à des enjeux économiques, environnementaux et sociaux. Rencontre avec Jean-François Delaitre, président de l’AAMF, et Philippe Collin, agriculteur méthaniseur depuis une quinzaine d’années.
Des bénéfices multiples pour les exploitants
À travers la méthanisation, les agriculteurs peuvent dynamiser leur activité (complément de revenus, économies grâce au digestat, diversification de l’activité), valoriser leur exploitation (valorisation des effluents d’élevage et résidus de cultures, développement des CIVE et bénéfices agroécologiques associés, production de leur propre engrais et amélioration de la valeur agronomique des terres…) et tisser du lien avec leurs territoires (création d’emplois locaux non délocalisables, lien avec d’autres acteurs locaux).
L’Association des agriculteurs méthaniseurs de France
Jean-François Delaitre est agriculteur en Seine-et-Marne (grande culture céréales et betteraves) en transition vers l’agriculture biologique. Il a ajouté la méthanisation en injection à son activité en 2014 . Il nous parle de son implication au sein de l’Association des agriculteurs méthaniseurs de France (AAMF) : « Je suis membre de l’AAMF et président de l’association depuis deux ans. Celle-ci a été créée voici une douzaine d’années par les pionniers de la cogénération pour échanger et trouver des solutions à leurs problématiques, accompagner les porteurs de projet, permettre le développement et le respect des agriculteurs dans leur mission de producteurs d’énergie renouvelable qu’est le biogaz. L’association inclut tout type de méthanisation agricole, cogénération ou injection, et défend la mission des agriculteurs dans tous les territoires, en transparence et dans la communication. Elle a créé la charte des agriculteurs méthaniseurs, nourrit des liens étroits avec les composteurs et souhaite garantir, aux populations notamment, l’épandage du digestat de la meilleure des façons, l’équilibre des productions sur le territoire et le développement de projets R&D, afin de permettre aux agriculteurs de participer à toutes les transitions de notre société. Elle compte 550 membres aujourd’hui qui, même s’ils connaissent des difficultés, sont persuadés que ces projets de méthanisation les poussent à évoluer et à trouver des solutions qui leur permettront de vivre sereinement à l’avenir. »
Une filière durable à la recherche de nouveaux professionnels
Côté recrutement, Jean-François Delaitre nous expose les besoins de la filière : « D’un côté, la filière de production du biogaz est à la recherche de nouveaux talents et de moyens pour définir et déployer les bonnes pratiques en matière de production de CIVE ou digestat, et de l’autre, nous avons également besoin de profils plus techniques pour suivre, maintenir et optimiser l’exploitation de nos sites. »
Enjeux actuels et futurs
Selon J.-F. Delaitre, les enjeux principaux du développement et du rayonnement de la filière biogaz sont les suivants : mesurer et défendre le bilan carbone et la baisse des émissions de gaz à effet de serre possible par la méthanisation, arbitrer puis mobiliser les volumes de biomasse, et enfin, créer les conditions d’un vrai partenariat agriculture-énergie qui respecte et valorise le travail des agriculteurs, aussi bien en tant que producteurs de CIVE ou d’effluents d’élevage qu’en tant qu’utilisateurs du digestat. Ce sont pour lui les seuls garants du bon équilibre à long terme de la filière.
Franchir le cap
« Nos portes sont ouvertes aux visites, j’encourage toutes les personnes qui s’intéressent au sujet à venir nous faire part de leurs envies autant que de leurs craintes. Ce sont des métiers passionnants mais qui demandent un vrai engagement. »
Un engagement de longue date
Philippe Collin est agriculteur depuis 1990. À l’origine producteur de lait, céréales et viande bovine, il est maintenant installé en polyculture élevage sur une ferme de 320 hectares. Il s’intéresse très tôt aux questions environnementales. Son parcours est marqué par son implication dans différents réseaux tels que Farre et Dephy (pour la diminution des pesticides) et dans des démarches d’analyse du cycle de vie des produits (dans la filière du lait). Il réalise un diagnostic carbone sur sa ferme en 2006 et entreprend alors des démarches pour réduire l’impact environnemental, et donc les émissions de gaz à effet de serre, de ses pratiques agricoles.
Ses débuts dans la méthanisation
Philippe Collin visite des unités de méthanisation pour la première fois en 2007 en Allemagne et dans les Ardennes, accompagné de techniciens de la Chambre d’agriculture. En 2009, il lance les travaux de sa propre unité. Son métier commence alors à évoluer grâce à cette nouvelle activité en cogénération (production de chaleur et d’électricité). Comme dans toute nouvelle aventure, il a fallu du temps à Philippe et ses collaborateurs pour trouver le bon fonctionnement. D’abord dépendants de la technologie allemande, avec un suivi biologique assuré par les Allemands mais un SAV français, ils se sont confrontés à la barrière de la langue et ont pris le temps de « décortiquer leur unité » pour devenir plus autonomes et faire le choix de fournisseurs locaux et réactifs, tout en conservant un lien avec les constructeurs.
Une activité complémentaire
Philippe Collin explique l’évolution de son activité en adéquation avec ses valeurs environnementales et sociétales : « Produire du biogaz a d’abord été une activité à part entière. Maintenant, elle est complémentaire à l’activité agricole. Le digestat est devenu le maillon fort de nos pratiques agronomiques et nous sommes passés en AB dès 2014. Aujourd’hui, la méthanisation et la ferme sont deux activités indissociables et nous avons pu mettre en place plusieurs projets en complémentarité, comme la valorisation du biométhane non injecté. Dans l’exploitation, nos véhicules roulent au bioGNV. Il est aussi valorisé dans d’autres véhicules hors exploitation, dans le cadre de projets avec les collectivités et les PME. » La vocation de ce projet est donc loin d’être seulement économique. Philippe Collin n’aime pas l’inertie, il cherche toujours à se renouveler et à donner une nouvelle orientation à son exploitation agricole d’année en année, un exemple très inspirant dans le monde de l’agriculture et de la méthanisation. Son prochain projet ? La mise en place d’une SCIC ayant pour but de valoriser en huile et farine les oléagineux et les céréales de son exploitation et de celles de ses collègues, pour des volumes importants, allant de 1 000 à 3 000 tonnes. Il aimerait également assurer leur transport en bioGNV.