À l’urgence climatique vient aujourd’hui s’ajouter un enjeu de taille : celui de la souveraineté énergétique à l’échelle européenne. La production de biogaz est un secteur clé pour y parvenir et se situe au cœur même d’une économie circulaire. Ce secteur en pleine croissance voit son offre de formation s’étoffer et va fournir de nombreux emplois.
Le gaz, une ressource dont l’accès est soumis aux aléas géopolitiques
Le contexte géopolitique né de la guerre en Ukraine bouleverse les grands équilibres stratégiques et énergétiques de l’Europe et la situation que nous vivons aujourd’hui impose de s’adapter et de tout faire pour atteindre l’autonomie énergétique. Dans un contexte de forte dépendance de l’Europe aux gaz et pétrole russes, des prix qui subissent des fluctuations vertigineuses, la filière de production du biogaz a un vrai rôle à jouer pour contribuer à une relocalisation de la production énergétique et à un mix énergétique plus vert. En effet, le biogaz, ou gaz vert, est une énergie locale et renouvelable, un atout incontournable pour réduire notre dépendance aux énergies fossiles, et donc notre dépendance aux pays producteurs et exportateurs.
La méthanisation, principale technologie our produire du biogaz
La méthanisation est un mode de transformation de la matière organique en énergie (biogaz) et en fertilisant (digestat). Le biogaz est issu de la digestion, par des bactéries, de la matière organique dans un milieu sans oxygène (anaérobie). L’action biologique des bactéries décompose la matière en produisant de 50 % à 60 % de méthane (CH4), mais aussi du CO2 (environ 35 %), de l’eau et d’autres gaz (5 % environ). Le résidu de matières, appelé digestat, est un fertilisant organique pour le sol. Les caractéristiques du biogaz et du digestat produits varient en fonction des matières digérées.
Le biogaz, une énergie verte aux multiples atouts
Produire de l’énergie renouvelable et des fertilisants naturels en recyclant des déchets et des matières organiques : voilà les objectifs de la production de biogaz, lequel permet de conduire l’agriculture vers des pratiques durables en réduisant fortement l’apport d’engrais chimiques importés, et en contribuant à restaurer les sols. Quelle que soit la typologie de l’installation (intégrée dans une exploitation agricole, portée par plusieurs structures organisées en collectif agricole ou portée par différents acteurs du territoire), la méthanisation participe à la transition agroécologique et crée de la valeur ajoutée et des emplois variés non délocalisables.
1. Valoriser les déchets et les matières organiques : le biogaz est produit à partir de matières organiques 100 % renouvelables, constituées notamment de matières auparavant considérées comme des déchets. Les substrats organiques utilisés lors du processus de méthanisation sont appelés intrants. Ils proviennent en majorité de l’activité agricole : fumiers et lisiers (appelés « effluents d’élevage ») et matières végétales (ensilages de cultures, pailles et menues pailles, résidus de cultures, déchets issus de silos, cultures intermédiaires à vocation énergétique…). Certains sites traitent aussi des déchets de l’industrie agro-alimentaire ou de stations d’épuration. Le mélange d’intrants de différentes natures (végétal, animal, déchets urbains, etc.) est réglementé et doit être géré de façon relativement stable afin d’équilibrer le procédé de méthanisation en apportant différents types de nutriments. En France, les cultures utilisées en méthanisation n’ont pas vocation à remplacer les cultures à vocation alimentaire. Ainsi, la réglementation française impose un recours limité aux cultures dédiées à maximum 15 % du tonnage entrant et, selon les régions, l’octroi de subventions publiques peut être conditionné à des limites encore plus strictes.
Déchets de tailles ou de tontes, déjections animales, déchets de cultures, déchets de l’industrie agroalimentaire, biodéchets de restauration… Cette économie du recyclage permet le développement d’une activité circulaire sur les territoires et une meilleure gestion des déchets organiques.
2. Créer une dynamique économique sur les territoires : l’installation d’une unité de méthanisation relève de l’initiative d’un acteur ou d’un collectif d’acteurs (agriculteurs en particulier) généralement implantés sur le territoire ou ayant des liens forts avec celui-ci. Les projets peuvent également être portés par des collectivités, acteurs incontournables des territoires. Une fois opérationnelle, l’unité s’insère dans le tissu socio-économique du territoire en apportant de la valeur ajoutée pour les acteurs concernés. La méthanisation offre aux agriculteurs méthaniseurs la possibilité de diversifier leurs revenus grâce à la cogénération du biogaz (production d’électricité et de chaleur) ou à l’épuration du biogaz en biométhane pouvant ensuite être injecté dans les réseaux de gaz naturel ou utilisé comme carburant (bioGNV). Cela représente un complément de revenu vital pour la pérennisation économique des exploitations. Lorsque l’unité est mise en place, son fonctionnement a donc un effet sur les porteurs de projets, sur la filière biomasse-énergie (fournisseurs de déchets, utilisateurs du digestat et acteurs de l’énergie) et sur le territoire d’implantation dans son ensemble. La méthanisation peut permettre de dégager des revenus supplémentaires, notamment pour les porteurs de projets. Un gain de valeur ajoutée est également possible pour les installations agricoles impliquées dans le projet (diversification, meilleure efficacité, etc.) et pour tous les acteurs concernés. Le développement de cette nouvelle activité permet la création d’emplois locaux et non délocalisables. Enfin, l’activité agricole existante est pérennisée et des emplois indirects peuvent être maintenus sur le territoire.
3. Améliorer les pratiques agroécologiques des exploitations : les agriculteurs méthaniseurs utilisent également des cultures intermédiaires (CIVE). Produites en plus des cultures principales, elles constituent un apport de végétaux qui n’empiète pas sur la production alimentaire. Bien menées agronomiquement, elles permettent, avec une rotation intelligente de plantes, une couverture végétale permanente, des pratiques culturales durables (labour peu profond, semis direct…) avec une restauration de la biodiversité des sols. D’autant plus que le digestat en sortie est un fertilisant de qualité qui permet de réduire les importations d’engrais azotés, voire d’atteindre une autonomie en engrais.
4. Développer la mobilité durable et diminuer les émissions de gaz à effet de serre : le biogaz peut être utilisé par des moteurs de cogénération qui produisent de l’énergie sous forme d’électricité et de chaleur (utilisée pour chauffer, sécher…), mais il peut également être épuré (élimination du CO2, de l’eau et d’autres composés) pour obtenir du biométhane, contenant comme le gaz naturel 98 % de méthane. Alors que la France s’est fixé l’objectif d’atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, ce qui implique de décarboner totalement notre production d’énergie, remplacer dans les réseaux de gaz une partie du gaz fossile par du gaz renouvelable devient une nécessité. Là aussi, la méthanisation est porteuse de solutions. En effet, le contenu carbone du biométhane est environ dix fois inférieur à celui du gaz naturel, et comparable aux énergies renouvelables électrique et thermique*. Le biométhane, ou BioGNV, sous-produit du biogaz, peut donc être utilisé comme carburant pour les véhicules à gaz naturel (GNV), permettant ainsi de développer la mobilité durable.
Technologies complémentaires et perspectives prometteuses pour la filière
La méthanisation est le procédé le plus mature pour produire du biogaz aujourd’hui. Cependant, d’autres procédés de production locale de gaz renouvelable et bas carbone, comme la pyrogazéification, la gazéification hydrothermale et le power-to-gas avec la méthanation, ont de beaux jours devant eux et devraient se déployer dans les années à venir. Toutes ces voies prometteuses du mix énergétique français sont complémentaires et ont pour point commun de participer à relocaliser la production énergétique et dynamiser l’économie locale en créant de l’emploi et des coopérations multi-acteurs. Dans une étude intitulée « Gaz Vert, renforçons nos synergies », le club Biogaz Atee avait montré en 2021 l’intérêt d’associer toutes les techniques de production de gaz verts pour se tourner vers un objectif de décarbonation. Voici un tour d’horizon des différents procédés.
La pyrogazéification. Alliance de la pyrolyse et de la gazéification, elle permet de valoriser de la biomasse sèche et des déchets organiques solides (résidus de bois, boues séchées, sous-produits agricoles secs…) en les chauffant à très haute température (plus de 1000 °C) en présence d’une faible quantité d’oxygène pour les transformer en biométhane de synthèse.
La gazéification hydrothermale permet quant à elle de transformer des déchets organiques humides (boues des stations d’épuration, digestats issus d’installations de méthanisation, effluents agricoles et industriels, déchets organiques humides urbains…) en gaz renouvelable, en fertilisants et en eau grâce à un procédé thermochimique à haute pression (350 bars) et haute température (700 °C).
Le power-to-gas consiste à convertir des surplus d’électricité d’origine renouvelable (photovoltaïque, éolien…) ou bas carbone en hydrogène par électrolyse de l’eau. L’hydrogène produit peut aussi être converti en méthane grâce à la méthanation.
Ces modes de production valorisent des ressources territoriales disponibles au plus près des besoins, font émerger de nouveaux modèles d’économie circulaire et permettraient d’atteindre 20 % de gaz verts dans les réseaux à l’horizon 2030, et la neutralité carbone en 2050.
Toutes ces technologies de production de gaz renouvelables et bas carbone s’appuient sur des filières industrielles complémentaires, chacune à des stades de développement différents. Les gaz verts viennent en réponse à l’urgente nécessité de décarboner nos consommations énergétiques et de gagner en autonomie, à condition de déployer toutes les technologies conjointement. La filière de production de gaz verts est donc une filière vertueuse, riche d’innovations et promise à un bel avenir !