L’acceptabilité d’une unité, de sa conception à son exploitation, est un enjeu majeur. Pour ne pas retarder, voire entraver le projet, pour que le porteur du projet garde de bonnes relations avec son voisinage, la communication, mais aussi une réflexion en amont du projet sur ses implications et les moyens de limiter les problèmes sont indispensables. Il en va de la viabilité économique tout autant que de la tranquillité civique.
Problématique locale
Les oppositions à la méthanisation se multiplient dans les territoires au fur et à mesure du nombre de projets. Les journaux locaux regorgent d’articles louant parfois ces nouveaux projets, mais relatant souvent l’opposition locale. Plus de 200 associations en ce moment même sont opposées à des projets de méthanisation. Bien souvent, ces levées de boucliers locales sont causées par des peurs, rationnelles ou non : nuisances dues à la recrudescence de transports, aux odeurs, crainte d’un risque d’incendie ou d’explosion et… de la baisse de valeur de biens immobiliers qui seraient situés à proximité. Ces peurs peuvent être irrationnelles et dues à une méconnaissance, elles peuvent aussi pour certaines être justifiées. C’est pourquoi la communication envers les riverains, la commune, les associations locales est particulièrement importante dès le début du projet. C’est pourquoi il est aussi nécessaire d’anticiper et, mieux encore, de concevoir son projet à l’aune de l’acceptabilité. D’autant que si on laisse monter les oppositions, certains opposants peuvent même aller jusqu’à faire appel à des associations dont les membres résident à l’autre bout du monde et qui donc ne connaissent même pas les lieux, dépassant alors la seule problématique locale.
Un projet qui a du sens
Il y a en effet une autre raison qui dépasse le champ local et pose des problèmes d’acceptabilité. C’est celle du modèle agricole, que mettent en avant certaines associations écologistes, mais aussi certains acteurs de l’agriculture et élus locaux, régionaux ou nationaux. Leur credo tient en une phrase : la méthanisation est-elle compatible avec une agriculture durable ? Nous dirions plus exactement : quelle méthanisation est compatible avec un modèle d’agriculture durable ? Parce que, dans le monde agricole aussi, les griefs se multiplient : augmentation des coûts du fourrage, priorité des cultures à la méthanisation en cas de sécheresse, modèle d’énergiculture plutôt que d’agriculture. À l’heure des méthanisations géantes comme le projet regroupant plus de 200 exploitations en Loire-Atlantique, c’est l’occasion de réfléchir à la finalité et au paysage de méthanisation que nous souhaitons à l’avenir. Les avis sur la relation agriculture/méthanisation divergent également, entre les tenants d’une méthanisation adaptée à une ou deux exploitations, comme les fervents défenseurs de l’agriculture de conservation, et les méthanisations plus territoriales. Les interrogations portent sur un point fondamental : comment concilier la production d’énergie et l’alimentation sans faire baisser la fertilité et la charge humique des sols agricoles ? Un débat que nous ouvrons aussi dans notre dossier « retour au sol », à lire dans ce numéro.
Comme nous le verrons dans les pages qui suivent, la réflexion préalable sur la conception du projet, puis les méthodes de communication et les contacts avec les acteurs locaux sont particulièrement importants pour faire adhérer les citoyens au projet. Mais pour une réelle acceptabilité, les projets doivent aussi avoir du sens localement tant du point de vue agricole que dans une perspective d’économie circulaire territoriale. La forme et le fond en quelque sorte.
Méthodologie
Tous les acteurs s’accordent à le dire : l’information, la consultation et la concertation ne sont pas une plus-value, mais un ingrédient indispensable à la réussite d’un projet de méthanisation. Et ce, au-delà de ce que prévoit au minimum la loi, puisque le niveau de concertation dépend du régime ICPE (installation classée pour la protection de l’environnement) et que l’information auprès des acteurs locaux (par exemple sites web, rencontres, portes ouvertes…) ne relève pas d’une obligation légale. De plus, l’expertise des acteurs tiers, de la société civile notamment, est souvent sous-estimée, et l’enjeu est également pour les associations de protection de la nature et de l’environnement d’acquérir une légitimité afin de devenir des acteurs incontournables lors des phases consultatives.
Le minimum légal en ce qui concerne la concertation provient de la réglementation ICPE et est fortement dépendant du régime auquel sera soumise l’installation : déclaration, enregistrement ou autorisation. En ce qui concerne l’information plus générale du public en dehors des temps forts de consultation ou d’enquête, il n’existe pas à proprement parler d’obligations. Cependant, le porteur de projet a tout intérêt à organiser des échanges bilatéraux, des temps d’information, ou à communiquer sur Internet de sa propre initiative et, pour cela, à s’y prendre en amont.
La concertation, ça se prépare !
Anticiper avec un prédiagnostic
L’acceptabilité s’écrit dès le départ d’un projet. La réalisation d’un prédiagnostic va permettre d’anticiper toutes les questions et d’avoir en main tous les éléments de réponse. Philippe Douillard, président de Synergis Environnement, un bureau d’études et d’ingénierie environnement, nous explique cette démarche. « L’intérêt du prédiagnostic est de dresser un état des lieux initial de tout projet : inventaire précis de la faune et de la flore, zones humides, enjeux urbanistiques, logistiques et environnementaux, risques sanitaire et d’incendie, dispersion des odeurs, problématique de bruit et transport. Nous avons chez Synergis Environnement des spécialistes dans tous ces domaines : sols, agronomie, faune et flore, mais aussi des juristes.
Nous intervenons donc en amont pour donner les éléments tangibles de nos rapports détaillés aux agences de communication et de concertation. Cela permet d’anticiper la manière d’éviter, de réduire, de compenser, qui sont les trois axes de la concertation et de l’acceptabilité. Nous amenons en fait une brique entre le projet d’ICPE et le projet d’acceptation. Sur les gros projets, je préconise fortement d’étudier en amont plusieurs possibilités de site ; nos études permettent alors un comparatif pour mieux choisir. Nous pouvons aussi intervenir en cours de dossier, une fois le site choisi, mais nous aurons moins de marge de manœuvre. Notre plus-value est d’apporter aux communicants des analyses de terrain scientifiques et de donner nos réserves, avis et préconisations afin qu’ils aient tous les éléments pour aborder les réunions de concertation. »
Les guides
Plusieurs méthodes d’approche pour faciliter l’acceptabilité ont été décrites. Parmi elles, la publication « Informer et dialoguer autour d’un projet de méthanisation », éditée par l’ADEME, destinée principalement aux agriculteurs porteurs de projets, reprend les principales étapes théoriques. Ce guide est complémentaire d’autres outils tels que le méthascope de France Nature Environnement qui offre une grille d’analyse des projets de méthanisation destinée aux associations environnementales qui souhaitent dialoguer avec un porteur de projet et permet de lister les points à suivre pour une acceptabilité réussie d’un projet. Comme l’indique l’introduction du guide de l’ADEME, « le développement d’une nouvelle activité peut interagir avec de nombreux acteurs locaux et générer beaucoup d’attention. Par principe vertueuse pour l’environnement, la méthanisation va en effet induire, quelle qu’en soit la perception, positive ou négative, des changements sur le territoire. Alors que la plupart des porteurs de projets hésitent à communiquer, le fait d’informer et la capacité de dialoguer peuvent pourtant contribuer à faire comprendre votre démarche ». Ce guide explique comment analyser la situation, contexte unique de votre projet, et propose une série d’outils et méthodes pour informer et dialoguer. Il présente également des ressources pour vous accompagner et une série de fiches de retours d’expérience.
Le bon « timing »
Qui informer ? Les citoyens, le grand public, les habitants, les élus, les associations, les entreprises, les riverains. En fait, les « parties prenantes » regroupent toutes les personnes qui sont impactées, concernées ou intéressées par le projet en fonction de ses contours. Toutes les parties prenantes vont, à des niveaux différents selon leur situation, vouloir interagir avec le porteur de projet. Il est donc recommandé de les identifier au préalable et de les informer.
Un des points importants est le phasage de la communication avec le projet. Pour ce qui est de l’intégration territoriale, dès les études préliminaires, il est intéressant de bien étudier l’implantation et d’engager une réflexion autour de l’acceptabilité. Lors du développement du projet, il convient d’échanger rapidement avec le maire de la commune, de faire une étude des contacts et une cartographie des acteurs locaux et de choisir un cabinet pour mener la concertation. Dès cette phase, le prédiagnostic peut être utile. Échanger avec les porteurs d’unités sur la manière dont ils ont abordé la communication de leur projet est évidemment un plus. En parallèle, l’échange avec les EPCI (établissements publics de coopération intercommunale), les syndicats d’énergie et les services de l’État en fournissant une présentation du projet est nécessaire, avec la mise en place d’un plan d’intégration et la création d’une instance de concertation. Ensuite, des actions de concertation vers un public plus large permettent d’engager le dialogue : agriculteurs, riverains, associations, journalistes locaux.
Comme l’indique le guide, il faut commencer le plus tôt possible : « Dès les premières études, au stade de l’intention, plus vous informez les parties prenantes en amont, plus vous suscitez leur confiance. Le bon moment pour communiquer, c’est quand tout va bien : les citoyens sont alors dans une posture d’accueil de l’information. La communication autour de votre projet a pour but d’informer des personnes. Il faut donc se poser la question du moment de la communication non pas par rapport à l’avancement du projet, mais par rapport à ce que ces personnes sont en droit d’attendre. “On communiquera plus tard, lorsqu’on aura tous les éléments”. Ce point de vue très fréquent précède quasi systématiquement les regrets des porteurs du projet : “On regrette de ne pas avoir informé les riverains du site d’implantation beaucoup plus tôt”. » Si on vous reproche de présenter un projet qui n’est pas terminé, dites-vous que c’est le meilleur compliment que l’on puisse faire à votre démarche de dialogue. Si vous n’informez pas vous-mêmes, ce sont des tiers, bienveillants ou pas, qui diffuseront l’information (une partie prenante ou un média par exemple). L’information n’est alors pas directe, elle peut être altérée : inspirera-t-elle confiance ? Informer et instaurer le dialogue repose essentiellement sur la volonté des porteurs de projets. Les dispositions réglementaires applicables au développement de la méthanisation n’obligent en effet à informer et à consulter que tardivement (après dépôt du dossier ICPE) et seulement dans certains cas.
Une information directe et franche
Jouer la transparence est la meilleure méthode, comme l’indique le guide de l’ADEME : « Parlez de vous et de votre démarche, présentez-vous. Quoi de mieux pour faire connaissance que d’expliquer ce que vous produisez, depuis quand, où, pour qui, etc. ? Présenter vos partenaires ou prestataires permet de montrer que vous êtes entourés de professionnels, de compétences, d’une équipe. Exposez vos motivations. Démarrer une nouvelle activité répond en général à des questions ou problématiques que vous vous posez de longue date, les raisons pour lesquelles vous avez choisi la méthanisation méritent d’être connues. Présentez la méthanisation. Cette technologie est encore peu connue, et n’oubliez pas qu’au-delà de la production d’une énergie renouvelable, c’est un moyen de recycler la matière organique de manière durable. Appuyez-vous sur le livret créé par l’ADEME. Exposez votre démarche. Il est possible d’informer dès les premières réflexions, présentez l’avancement du projet par étapes, donnez un calendrier global, les détails pourront être précisés au fur et à mesure des décisions prises. »
Cette démarche d’information et de dialogue demande un engagement et du temps. Il semble nécessaire de se faire accompagner par des professionnels : ADEME, conseil régional et cabinet de concertation.
Rencontrer les acteurs locaux
Pour concevoir un dispositif d’information et de dialogue adapté, il est nécessaire de connaître les sujets prioritaires selon les enjeux locaux (trafic routier, cadre de vie, sécurité, protection de l’environnement, etc.). Chaque territoire est différent. Les parties prenantes qu’il s’agit d’informer et avec lesquelles échanger pour construire la confiance peuvent être différentes selon : le site d’implantation et son environnement proche ; le contexte local ; les matières valorisables ; les besoins du territoire en termes de gestion des matières organiques ou d’énergie. Afin de recenser les facteurs qui peuvent interagir avec le projet, le porteur du projet doit très bien connaître le territoire et s’engager dans une démarche de diagnostic (très instructive, y compris sur un territoire que l’on connaît déjà bien). Cette démarche permet de comprendre les enjeux et d’identifier les parties prenantes. Pour cela, il est nécessaire de questionner les acteurs locaux. Les thématiques à analyser sont l’économie du territoire (enjeux actuels et futurs : tourisme, industries locales, artisanat), l’environnement (sensibilités locales, ressources naturelles), l’agriculture (type de culture et d’élevage, perspectives), la société (démographie, emploi, urbanisation), la politique (échéances électorales, étiquettes politiques, oppositions municipales) et les autres unités de méthanisation en projet ou en service. Cela nécessite donc de rencontrer quelques personnalités locales, ayant parfois des points de vue divergents, pour s’assurer d’avoir une photographie globale représentative du territoire (élus locaux, représentants d’associations, d’entreprises, de riverains). Vous pouvez alors caractériser les enjeux locaux et identifier les parties prenantes.
Les thèmes récurrents
Quels sont les sujets qui peuvent créer des tensions ? Cela dépend évidemment de chaque installation. Cependant, quatre thèmes récurrents sont au cœur de toutes les concertations.
• La valeur des biens immobiliers dépend de critères objectifs et de paramètres liés à l’offre et à la demande du marché immobilier. Si une nouvelle activité sur le territoire ne génère pas de nuisances, il n’y a pas de raison que la valeur des biens immobiliers soit affectée. De même, s’il n’y a pas d’inquiétudes relatives à un projet de méthanisation en développement, il n’y a pas de raison que la valeur des biens immobiliers soit affectée par la perspective de son implantation. Favoriser un échange serein sur les autres enjeux locaux (nuisances ou autres enjeux) est donc de nature à rassurer quant à un éventuel impact sur le marché immobilier local.
• Le choix du site d’implantation. Lorsque plusieurs sites présentent des atouts et des inconvénients vis-à-vis des paramètres du projet, il peut être souhaitable de détailler aux parties prenantes ces opportunités et contraintes. La discussion permettra alors la formulation par les parties prenantes des enjeux sociétaux propres à chacun de ces sites, en particulier en ce qui concerne la distance aux habitations. Sur cette question, les tentatives de définir une distance minimum (autre que celle réglementaire) par rapport aux habitations, ou aux activités quelles qu’elles soient, échouent à prendre en compte la diversité des spécificités locales. Chaque site est particulier, et la distance d’implantation par rapport aux habitations relève d’éléments factuels propres à chaque unité : contraintes d’implantation de l’activité (par exemple : proximité des réseaux de gaz et d’électricité) et prise en compte des enjeux pour les parties prenantes concernées. La pertinence des arguments avancés sera la clé de la réussite du dialogue. La concertation pourra conduire à lister les arguments construits des avantages et inconvénients du ou des sites envisagés.
• Le trafic routier. Dans la plupart des cas, le sujet du trafic routier peut être traité par la comparaison entre les chiffres du trafic généré par la nouvelle activité et celui préexistant sur les mêmes axes, d’autant que, selon le nombre et la répartition géographique des points d’approvisionnement, la « dilution » du trafic peut être forte autour du site d’implantation. L’utilisation de cartes peut être très bénéfique à un dialogue construit et clair sur ce sujet. Les discussions permettent de préciser les aménagements adaptés à l’accès au site, les horaires, la fréquence et les conditions de circulation des rotations s’il y a des enjeux sur ces sujets.
• L’environnement olfactif. La question de l’impact de la méthanisation sur l’environnement olfactif est régulièrement posée. Elle est motivée par le traitement sur place de matières perçues comme odorantes. Pour traiter de cette thématique, il est recommandé : 1o d’exposer en détail la réglementation applicable (variable selon le régime ICPE applicable) : le protocole d’analyse de l’impact sur l’environnement olfactif ; 2o de décomposer la problématique : quels risques d’émission d’odeurs, à quelle phase du processus (transport, réception, stockage, méthanisation, livraison, épandage) et selon les matières concernées ; 3o de présenter les moyens de réduire les risques (choix des matières, équipements, méthodes, conditions extérieures, etc.) et les conditions de mise en œuvre (coûts, revenus, travail supplémentaire, suivi avec les parties prenantes, etc.) ; 4o le cas échéant, de clarifier les engagements respectifs des porteurs du projet et des parties prenantes ; 5o de demander aux parties prenantes d’exprimer leurs attentes en termes d’environnement olfactif.
Intégrer les citoyens
Dans l’idéal, plus que l’acceptabilité, l’objectif est de faire adhérer les acteurs du territoire au projet. Dans ce cadre, faire s’impliquer les citoyens dans le projet, voire les y associer, est parfois une façon de faciliter l’intégration locale du projet. Il existe plusieurs manières afin que les citoyens s’impliquent : par la gouvernance (les citoyens sont alors représentés à hauteur de leur capital dans l’instance qui est responsable du fonctionnement de l’unité) ; par le financement participatif (les citoyens contribuent au financement – emprunt, obligations, actions, etc. –, et sont rémunérés pour leur apport financier). Mais il est aussi possible d’associer des riverains en leur offrant (ou en leur proposant à un prix très bas) du chauffage pour leur habitation ou pour une activité. Autre possibilité qui a du sens sur le territoire : créer une station bioGNV ouverte aux riverains. Si les citoyens (et/ou les élus) participent et ont un intérêt au projet, les oppositions se lèveront d’elles-mêmes et le porteur de projet sera considéré comme un acteur positif du territoire.