Des consommateurs-citoyens de plus en plus exigeants qui font évoluer les modes de consommation, des scandales et la loi qui encadre de plus en plus font de l’éthique un sujet incontournable dans les entreprises. Or, si beaucoup d’entre elles s’engagent réellement dans la RSE, d’autres ne font que communiquer des slogans sans mener de véritables actions.
L’éthique est un sujet qui traverse les entreprises, quelle que soit leur taille. Elle est présente dans tous les rapports publiés par les grandes entreprises. Articles, conférences, etc., elle est absolument partout. Elle est même devenue un outil de communication et un argument de vente. Économistes et dirigeants la voient comme un élément moralisateur du capitalisme mondial, bienveillant, et favorisant une économie dite inclusive.
Bruno Le Maire, ministre de l’Économie, a d’ailleurs indiqué qu’il fallait « bâtir une économie responsable », différente du « capitalisme du XXIe siècle ».
En septembre 2019, le collectif « Nous sommes demain », qui regroupe les dirigeants Pascal Demurger (MAIF), Emery Jacquillat (CAMIF) et Pierrick de Ronne (Biocoop), ainsi que des entrepreneurs, a proposé de mener « des actions concrètes pour accélérer la transformation sociale et environnementale des entreprises autour de quatre enjeux : le partage des richesses, le partage du pouvoir, l’impact social et l’impact environnemental ».
Dans ce contexte, le profit est « encadré » par les valeurs de l’entreprise. Selon un récent sondage OpinionWay pour Max Havelaar, quatre Français sur cinq « souhaitent que les produits équitables soient plus nombreux sur leurs lieux de consommation ». Plusieurs enquêtes ont montré que les consommateurs étaient prêts à payer plus cher pour des produits biologiques ou provenant du commerce équitable. Les consommateurs sont très attentifs aux lieux et aux modes de fabrication des produits, à leur impact environnemental. Ces nouvelles façons de consommer obligent les entreprises à s’adapter et à changer. Thierry Wellhoff, ancien directeur de l’agence de communication Wellcom, a d’ailleurs expliqué que le mouvement était « mondial ».
La raison d’être : un paravent ?
Après de multiples scandales sociaux ou environnementaux et face aux nouvelles attentes des consommateurs, les législations, tant en Europe qu’en France, ont été renforcées. La protection des données personnelles (des internautes européens) ou la loi Pacte avec l’arrivée de la « société de mission » dans le droit français en sont deux bons exemples. Dès lors, des multinationales ont présenté leur raison d’être : Atos a pour mission de « contribuer à façonner l’espace informationnel » ; Carrefour se positionne dans la « transition alimentaire ». Les exemples abondent.
Qu’il s’agisse de slogans ou de véritables engagements, ces raisons d’être permettent aux entreprises de présenter une image positive, de renforcer la confiance des consommateurs et également de répondre aux nouvelles exigences des investisseurs, très attentifs aux reportings RSE. Nathalie Cazeau, avocate en droit des affaires, explique : « Les actionnaires exigent la mise en œuvre d’une politique de RSE. Cette politique fait même désormais partie des critères des agences de notation. »
Et pourtant, plusieurs ONG ont critiqué le flou entourant la raison d’être dans le cadre juridique. Dans une tribune publiée dans Le Monde, elles ont notamment indiqué : « D’après une étude récente du Boston Consulting Group, la raison d’être est perçue par les directeurs de communication des entreprises essentiellement comme un levier de réputation. » Elles ajoutent que de grands groupes peuvent « constituer des filiales consacrées à des actions sociales et en faire des vitrines pour se montrer socialement responsables ».
Dans un article publié dans La Croix en avril 2019, l’avocate en droit des entreprises sociales Alissa Pelatan indiquait : « Les grandes sociétés, comme Atos, seront peu nombreuses à aller jusqu’à modifier leurs statuts, car elles risqueraient la faute de gestion si elles ne remplissaient pas leur mission. Et il y a même des risques de “missionwashing” : de déclarations qu’on a une mission, sans qu’il y ait de réelles actions au service de la collectivité. »
Plus qu’un effet de mode ou une simple vitrine
Mais cette raison d’être est pourtant bien ancrée dans les entreprises. Souvenons du cas Best Buy. En 2012, l’entreprise, sous les coups de butoir d’Amazon, est en quasi-faillite. Elle est alors rachetée par Hubert Joly, CEO de Carlson Wagon Travel, qui établit une stratégie résolument tournée vers la création de sens, l’éthique, car il veut faire jouer à Best Buy un rôle sociétal majeur, de premier plan. Le cours de l’action est multiplié par quatre et les ventes sont sur la pente ascendante pendant plus de cinq ans. Si ce cas était alors inédit, il n’est plus rare aujourd’hui.
D’ailleurs, ce n’est pas tant par idéalisme que les dirigeants inscrivent la raison d’être dans la stratégie globale de l’entreprise. Performances économiques et financières, et RSE et développement durable sont souvent les deux faces d’une même pièce. L’objectif se situe au-delà des résultats financiers de l’entreprise, mais la raison d’être est bien source de croissance et de performance. Larry Fink, patron de BlackRock, déclarait ainsi que les entreprises devaient se doter d’une raison d’être, qui ne devait d’ailleurs pas se limiter au marketing, mais qui devait relever les grands défis du monde. En août 2019, 181 CEO des plus grandes entreprises américaines ont signé une déclaration soulignant que la satisfaction des seuls actionnaires n’était pas un objectif viable.
En France, de grands groupes se sont dotés d’une raison d’être (Michelin, Yves Rocher), mais aussi des start-up. Des cabinets de conseil en stratégie les ont également rejoints, mais aussi des universités, comme Berkeley, en Californie, ou encore HEC Paris, preuve qu’il s’agit d’une dynamique faite pour durer.