La production d’hydrogène est vitale pour son déploiement. L’hydrogène industriel coproduit est aussi appelé hydrogène fatal. Que se cache-t-il derrière ce terme ? Quel est l’enjeu de cette source d’hydrogène ? Comment cela s’inscrit-il dans un projet de territoire ?
Ce sont des questions auxquelles nous allons tenter de répondre à travers cet article réalisé en partenariat avec le cabinet de conseil EnerKa.
Hydrogène fatal : l’atout maître
Le secteur de l’hydrogène est en pleine mutation. Entre les démonstrateurs techniques qui ont fait leurs preuves et les projets de déploiement visant la viabilité économique, la question du moyen de production de l’hydrogène est centrale. Face à d’autres vecteurs énergétiques tels que l’électricité ou le méthane, l’hydrogène possède une spécificité qui le place en position avantageuse.
Production d’hydrogène fatal
Il faut tout d’abord distinguer l’hydrogène volontairement produit (hydrogène dit « captif » ou « marchand ») de l’hydrogène résultant d’un procédé non destiné à sa production (hydrogène dit « coproduit »). Ce dernier est généralement soit réutilisé dans d’autres procédés (quelquefois même revendu), soit brûlé ou éventé (rejeté à l’air libre). Dans l’industrie, on distinguera également l’utilisation de l’hydrogène pour ses propriétés physico-chimiques (hors énergie), que l’on qualifiera d’hydrogène matière (production d’engrais azotés par exemple), de l’hydrogène utilisé pour ses propriétés énergétiques, que l’on qualifiera d’hydrogène énergie (production de chaleur par exemple). À noter que les usages énergétiques de l’hydrogène sont plus facilement substituables que les usages matière. En effet, la chaleur peut être produite avec du gaz naturel ou de la biomasse alors que la production d’engrais ne peut se faire qu’avec de l’hydrogène.
Sources et valorisations de l’hydrogène coproduit
Aujourd’hui, la consommation d’hydrogène en France est basée sur l’industrie du raffinage du pétrole, de la production d’engrais, de la chimie et de la métallurgie. Cependant, plus de la moitié de ces 900 000 tonnes d’hydrogène consommées annuellement est d’origine coproduite. En effet, plusieurs industries en France sont fortement productrices d’hydrogène sans que ce dernier soit le produit recherché par leur procédé de production. À titre d’exemple, l’industrie du chlore réalise l’électrolyse de la saumure permettant l’obtention du produit recherché (le chlore), mais génère en parallèle de grandes quantités d’hydrogène du fait de la nature de la réaction. Ainsi, cette production représente 51 000 tonnes d’hydrogène par an, soit 6 % de la production nationale. De la même manière, on pourra citer les procédés de production de coke et de raffinage des produits pétroliers qui représentent respectivement 14 % et 40 % de la production nationale d’hydrogène.
Parfois, l’hydrogène coproduit est utilisé en tant qu’hydrogène matière au sein même du procédé (raffinerie par exemple) ou dans des procédés industriels voisins (production d’eau oxygénée). S’agissant d’une valorisation de l’hydrogène pour ses propriétés physico-chimiques spécifiques (hydrogène matière), la valeur commerciale de cet usage est forte et justifie difficilement une réorientation de cet hydrogène dans la mobilité.En revanche, l’hydrogène coproduit est parfois valorisé sous forme de chaleur (pour produire de la vapeur d’eau), voire rejeté à l’air libre, car il n’existe pas d’autres débouchés économiquement intéressants à proximité. Dans ce cas de figure, l’hydrogène n’a pas une forte valorisation économique, car d’autres matières premières peuvent le remplacer, telles que le gaz naturel. Cette configuration rend plus pertinent l’usage de cet hydrogène coproduit dans la mobilité, car l’industriel en retirera plus de valeur. L’hydrogène coproduit, ainsi valorisé sous forme de chaleur représentait en 2008 237 000 t/ an (1) soit 650 t d’hydrogène par jour (principalement issu de la production de chlore et de coke). Pour rappel, un véhicule particulier en consomme environ 1 kg/100 km, un bus 10 kg/100 km et une flotte de 50 bus environ 1 t/jour. La valorisation de ce potentiel correspondrait donc à la consommation de plus de 30 000 bus à hydrogène, soit l’équivalent de la flotte française d’autobus.
Enjeux pour la mobilité
Pour bien comprendre l’intérêt que représente l’hydrogène coproduit pour les écosystèmes territoriaux de mobilité hydrogène (production, distribution, usages), il faut souligner que ces derniers doivent aujourd’hui arbitrer quant à la manière de produire l’hydrogène. En effet, l’électrolyse est souvent mise en avant pour son faible impact carbone, mais son prix reste encore élevé et nécessite de produire de grande quantité d’hydrogène avec une électricité à bas coût pour atteindre une parité de prix carburant avec le diesel. À l’opposé, le reformage du gaz naturel permet un prix compétitif de l’hydrogène, mais n’apporte qu’une contribution modérée à l’enjeu climatique. La valorisation de l’hydrogène coproduit dans ces écosystèmes territoriaux de mobilité permet donc de concilier ces deux visions, environnementale et économique. L’hydrogène coproduit utilisé pour la chaleur (voire rejeté à l’air) n’ayant qu’une valeur commerciale faible, ce dernier peut être vendu en sortie de procédé à un prix très compétitif, inférieur à 3 €/kg (2), voire nul. À titre de comparaison, selon les hypothèses, le carburant hydrogène atteint un prix équivalent au diesel entre 6 et 9 €/kg (3). Cependant, ces chiffres prometteurs ne doivent pas occulter les investissements nécessaires à la séparation, à la purification, au conditionnement (compression, stockage), au transport et à la distribution, tous nécessaires pour acheminer un hydrogène de qualité jusqu’au réservoir d’un véhicule. L’équation économique reste toutefois très intéressante et compétitive par rapport au diesel (4). Au-delà des considérations d’investissement et de coût d’opération, la valorisation d’un « déchet » relève de l’économie circulaire. Ainsi, les retombées économiques vont au-delà des avantages classiques de l’hydrogène (dépollution de l’air, réchauffement climatique, balance énergétique), car elles profitent directement à l’industriel du territoire en lui apportant une nouvelle source de revenus. À l’inverse, la conjoncture économique globale, et donc le volume d’activité de l’industriel, influera sur le volume d’hydrogène coproduit étant donné que ce dernier est directement lié à la production d’un produit commercial. Une crise économique globale diminuant la consommation mondiale de chlore aura de facto un impact sur la quantité d’hydrogène coproduit disponible.
Le volet environnemental
L’intensité carbone de cet hydrogène va dépendre du procédé industriel dont il est issu. Dans le cas d’une production de chlore, il s’agit d’une électrolyse de la saumure et donc d’une consommation d’électricité. En France, avec un mix électrique faiblement carboné, la coproduction de l’hydrogène émet donc très peu de CO avec moins de 1 kg de CO par kilo d’hydrogène, soit 10 fois moins que le reformage du gaz naturel. L’hydrogène coproduit issu des cokeries aura une composante carbone bien plus importante étant donné qu’il est issu de combustibles fossiles tels que le charbon. La question est de savoir s’il est pertinent d’attribuer l’ensemble des émissions de CO d’une cokerie à l’hydrogène, qui n’est pas le produit visé par le procédé principal de production. La méthode couramment utilisée dans les analyses de cycle de vie pour répondre à cette question est un arbitrage par valeur commerciale. Dans le cas de la cokerie, si les recettes liées à la vente de coke représentent 95 % du chiffre d’affaires de la cokerie et celles liées à la vente d’hydrogène 5 %, alors l’hydrogène portera une empreinte carbone égale à 5 % des émissions de CO de la cokerie. À l’issue de ce raisonnement pour les cokeries ou bien dans le cas de la production du chlore, l’hydrogène coproduit possède donc une composante carbone relativement faible vis-à-vis des autres procédés de production d’hydrogène. Enfin, un point important est à souligner dans le cas où l’hydrogène coproduit est initialement valorisé sous forme de chaleur. En effet, même si l’hydrogène est redirigé vers une valorisation dans la mobilité, les besoins en chaleur de l’industriel restent, eux, inchangés. Ce dernier devra donc acheter et consommer une quantité de gaz naturel (dans le cas d’une chaudière à gaz) supplémentaire afin de pallier l’absence d’énergie hydrogène désormais utilisée dans la mobilité. En analyse de cycle de vie, cette conséquence dite de substitution doit être prise en compte dans le calcul de l’impact CO. L’impact CO de cette substitution reste tout de même inférieur à une production d’hydrogène par reformage du gaz naturel.
Projets de territoire
Ainsi, la valorisation d’hydrogène coproduit est un enjeu fort pour la mobilité hydrogène en France pour les raisons évoquées ci-dessus. L’hydrogène coproduit étant lié à un site industriel donné, il s’agit là d’un potentiel avec un ancrage local fort. Des projets tels que Valhydate (région Sud Provence-Alpes– Côte d’Azur) ou encore Vhyctor (Bourgogne-Franche-Comté) l’ont bien compris et visent ainsi à en démontrer la pertinence économique et environnementale. Les sites industriels se trouvant en périphérie des agglomérations, des synergies fortes sont à trouver avec les dépôts de bus qui parfois se trouvent à quelques centaines de mètres de ces installations. L’alimentation de trains de fret, voire de voyageurs, passant à proximité de ces sites est un autre exemple de synergie justifiant ce type de projets. Enfin, les sites industriels sont aussi des nœuds logistiques pour l’approvisionnement des matières premières et l’export des produits. Cette configuration induit des va-et-vient constants de camions, voire de bateaux, ces derniers pouvant aussi être alimentés par l’hydrogène coproduit sur le site industriel. Une fois développés autour d’un site en particulier, l’ensemble de ces usages vont mécaniquement rayonner sur le reste du territoire et ainsi justifier l’implantation d’autres stations avec d’autres moyens de production, cela permettant rapidement d’amorcer un écosystème hydrogène territorial. L’ensemble du potentiel français n’est pas encore valorisé et que les élus locaux des territoires visés ont une carte importante à jouer dans le développement de la mobilité hydrogène compétitive. Le fort potentiel de l’hydrogène coproduit souligné dans cet article ne doit pas renverser les priorités d’un projet hydrogène. En effet, l’identification des usages de l’hydrogène, la sensibilisation et le démarchage des futurs utilisateurs de véhicules reste la base de tout projet territorial. Ce n’est pas la présence d’une station et d’un hydrogène compétitif qui fera venir spontanément les usagers ! L’hydrogène coproduit se présente donc comme un initiateur des dynamiques territoriales à court terme, d’autant que certains de ces gisements ne sont à ce jour pas exploités. Bien qu’elles soient aujourd’hui importantes, les quantités limitées d’hydrogène coproduit n’occultent pas les autres procédés de production d’hydrogène qui sont complémentaires selon les ressources d’un territoire (électrolyse en présence de solaire ou d’éolien, pyrogazéification en présence de ressource biomasse, etc.).
Notes
(1) Alain Le Duigou et Marianne Miguet, « Les marchés de l’hydrogène industriel français : situation en 2008 et perspectives », L’Actualité chimique, n° 347, p. 52–57.
(2) Équivalent énergétique au prix du gaz naturel.
(3) Selon le prix du diesel et de l’efficacité énergétique du moteur.
(4) Source EnerKa.