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Mer et sécurité alimentaire

Le domaine maritime a toujours été un élément clé dans la sécurité alimentaire. Depuis l’Antiquité, la mer est un vecteur de distribution des biens et des marchandises, et permet aux hommes de se déplacer. Aujourd’hui, l’agriculture est un élément très important dans la mondialisation. Comme d’autres secteurs, le secteur agricole s’est considérablement internationalisé et « maritimisé ».

Lors du Forum sur les nouvelles routes de la soie, le 10 janvier 2019, l’ambassadeur de Chine a indiqué que l’agriculture et l’alimentation étaient deux secteurs capitaux. Il faut savoir que si la Chine produit beaucoup de denrées, en exporte également, elle est importatrice nette de produits agricoles. Elle importe notamment du soja, de l’orge et du maïs. Près de 70 % du soja importé dans le monde l’est en Chine, ce qui représente 100 millions de tonnes par an. Elle n’est pas non plus en mesure de fournir les quantités – et la qualité – de lait suffisantes pour sa population. En revanche, elle est autosuffisante en riz et en blé. Dans ce contexte, la sécurisation des approvisionnements est très importante pour Pékin. Les « routes de la soie » ont donc un volet alimentaire majeur. Les investissements massifs dans les infrastructures et la logistique à travers la planète confirment la volonté chinoise de tout mettre en œuvre pour faire converger sur son territoire tout ce dont elle a besoin, et notamment en produits alimentaires.

« Nouvelles routes de la soie » : le poids du secteur maritime

Ainsi, le secteur agricole est totalement dépendant des voies terrestres, mais aussi des voies maritimes. Ces dernières ont toujours été au cours de l’histoire des éléments d’échanges, de facilité, de sécurité, mais aussi d’innovation. Aujourd’hui, avec la mondialisation et l’internationalisation de l’agriculture, le transport maritime est plus important que jamais.

La France, pays agricole et exportateur, importe également des marchandises. Sa sécurité alimentaire dépend donc de ces flux maritimes, mais aussi des ressources provenant de la mer qui complètent celles venant de la terre. Pour le secteur agricole français, le projet de « nouvelles routes de la soie » est une opportunité, car en dix ans, la France a doublé le montant de ses échanges avec la Chine. Le marché chinois est lui-même en pleine mutation avec le renforcement de la classe moyenne. À moyen terme, ce pays sera un débouché important pour des produits à plus forte valeur ajoutée. Dans ce contexte, le train est un moyen de transport intéressant, grâce à la route qui traverse l’Asie centrale, appelée aussi « ceinture économique ». Mais les projets maritimes sont prometteurs. Le commerce des céréales s’effectue en effet essentiellement par voie maritime avec 70 % à 80 % des volumes. La Chine a donc lancé une route qui passe par le Vietnam, l’Indonésie, l’Inde, l’Afrique (Kenya), le canal de Suez, la Méditerranée, puis remonte vers l’Europe du Nord. Elle teste également la route arctique, qui emprunte le fameux passage du Nord-Est russe pour déboucher directement sur l’Europe du Nord. Cette route sera d’ailleurs à terme (dont on a encore du mal à mesurer s’il sera moyen ou long) préférée pour sa rapidité et sa sécurité, car elle permet aux porte-conteneurs chinois d’éviter les zones de piraterie entre la Malaisie et l’Indonésie ainsi qu’au large de la Somalie.

Pour un pays comme la France, les infrastructures, la logistique, les structures politiques du pays et la défense sont les facteurs qui permettent de faire fonctionner tout le système d’échanges, d’importations et d’exportations. La France – les pays occidentaux d’une manière générale – peut importer facilement les produits alimentaires dont elle manque pour assurer sa sécurité alimentaire.

Sécurité et souveraineté alimentaires

Pour d’autres pays moins bien « armés » en revanche, la sécurité alimentaire peut poser un problème, renforcé par la pression démographique. En Égypte, l’État doit nourrir deux millions de personnes de plus par an. La démographie joue ici un rôle capital. Cela implique des importations massives et donc, pour l’État, de sécuriser ses flux maritimes et le point clé du canal de Suez. Pour d’autres pays, il s’agit du golfe d’Aden, des Dardanelles et du détroit du Bosphore, de Malacca (en Malaisie) et de la passe de Bab el-Mandeb, face à Djibouti.

D’une manière générale, la paix et la sécurité sont deux facteurs indispensables pour la sécurité alimentaire. On voit bien comment la piraterie aggrave l’insécurité alimentaire de la Somalie. Le golfe d’Aden, par où transitent les navires commerciaux et humanitaires, est particulièrement sensible. Seuls les bâtiments protégés par la Marine française, qui agit quasi seule dans ce secteur (en raison notamment de la présence française à Djibouti) arrivent à bon port.

Certains pays comprennent bien que cette quête de sécurité alimentaire est également une question de souveraineté. La Chine avec ces « nouvelles routes de la soie » en est un bon exemple. Sa puissance logistique lui permet de former des hubs lui garantissant la maîtrise et le contrôle des transits maritimes. Ces plates-formes sont autant de centres névralgiques d’où partent financements et travailleurs à l’assaut des continents. L’objectif est aussi de contrôler des terres et des semences.

La Russie a également compris l’enjeu de la souveraineté alimentaire. La crise ukrainienne a poussé les États-Unis, et par effet d’entraînement l’Union européenne, à la sanctionner. De son côté, celle-ci a décrété l’embargo sur les produits agricoles et alimentaires américains et européens. Les Américains ont perdu leur première place d’exportateur mondial de blé au profit de la Russie. Les Européens ont perdu un gros marché et ont gagné un sérieux concurrent.

Avec le blé, la Russie réussit donc à renforcer sa sécurité alimentaire. Mais cette céréale est également un instrument de politique étrangère qui lui permet d’engranger des bénéfices financiers, de resserrer sa coopération avec les pays clients qui l’importent et de renforcer son poids géopolitique. Lorsqu’on sait que le blé est la base alimentaire quotidienne de trois milliards de personnes, on comprend rapidement l’importance de cette céréale et les enjeux qui lui sont liés. Seize pays (dont la France) assurent 90 % de la récolte totale chaque année. Le blé pèse en outre 30 % à 35 % des 120 à 150 milliards de dollars qu’a générés le commerce des céréales entre 2010 et 2016.

D’autres produits fonctionnent sur les mêmes modalités : vin, bière, huiles, produits laitiers, café, etc. Il y a également les « intrants » (hydrocarbures, phosphates, électricité, etc.), ressources qui permettent les activités agricoles. Céréales, autres denrées et « intrants » circulent par voie maritime et permettent la sécurité alimentaire de nombreux pays.

De la mer à la terre

Il en est de même avec les produits de la pêche et de l’aquaculture de plus en plus consommés à travers la planète. Cette consommation est ainsi passée de 9 kg à 20 kg par an et par habitant en cinquante ans. Un Japonais en consomme 50 kg par an, un Chinois 35 kg, un Français 33,5 kg. Au début des années 1960, la production mondiale s’élevait à 40 millions de tonnes ; aujourd’hui, elle atteint 190 millions de tonnes.

Les voies maritimes dans le cadre des « nouvelles routes de la soie » se comprennent lorsqu’on regarde de plus près la production des produits de la mer. La Chine est le premier producteur, et le seul à dépasser la barre des 10 millions de tonnes, avec 18 millions de tonnes pêchées. Suivent l’Indonésie (6,5 Mt), les États-Unis, la Russie, l’Inde et le Pérou (5 Mt). L’Espagne est première en Europe avec 1 Mt. La France est à 0,5 Mt. En ce qui concerne l’aquaculture, la Chine et l’Indonésie se taillent la part du lion avec respectivement 62 Mt et 16 Mt, sur les 106 Mt totaux. On voit bien l’énorme polarisation des productions sur l’Asie.

En outre, la Chine est le premier exportateur mondial de produits de la mer avec 21 milliards de dollars, suivie de la Norvège (11 milliards) et du Vietnam (8 milliards).

L’aquaculture est le secteur qui a été le plus dynamique durant les dernières décennies. Car il répond aussi aux nouveaux besoins alimentaires, comme aux nouvelles « tendances », moins axés sur la viande. Le geste écologique qui consiste à manger moins de viande pourrait être totalement annulé par l’empreinte des fermes aquacoles sur la biodiversité. C’est un facteur que beaucoup de gens oublient de prendre en compte.

Ce problème a d’ailleurs été soulevé par les Nations unies dans l’objectif no 14 du Programme de développement durable à l’horizon 2030. Cet objectif est intitulé « Conserver et exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable ».

À l’aune de tous ces chiffres et statistiques, nous prenons toute la mesure de cette question alimentaire dans le monde et de la nécessité de sécuriser les voies d’approvisionnement, essentiellement maritimes. La liberté de circuler sur les mers est ainsi une priorité. En arrière-plan, on comprend aussi les enjeux géopolitiques qui se jouent dans certaines parties du monde. Le cas de la mer de Chine méridionale, où des tensions parfois vives opposent Chinois et Américains, est pertinent. La pêche légale et illégale, le droit international, la sécurité et la défense, forment autant d’enjeux économiques, écologiques, judiciaires et géostratégiques qui, s’ils ne sont pas réglés par le dialogue, se transformeront en crises militaires, mais aussi alimentaires et écologique.

Photo ci-dessus : Avec les nouvelles « routes de la soie », la Chine se constitue un chapelet de hubs qui lui garantissent la maîtrise et le contrôle des transits maritimes. Le port de Shanghai (photo), deuxième plus grand port en tonnage du monde traitait 717,4 millions de tonnes de marchandises en 2015.

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