Le déploiement passe par la mobilité
L’usage de l’hydrogène décarboné pourra être industriel, mais son déploiement dans le cadre de la transition énergétique passe par la mobilité, tous azimuts : bus, véhicules utilitaires, trains, bateaux et même vélos. Les collectivités vont jouer un rôle essentiel, car l’avitaillement de l’hydrogène doit être couplé avec la production. État des lieux.
Comme on le sait, les avantages de l’hydrogène sont l’autonomie, une recharge rapide et des moteurs qui ne rejettent que… de l’eau ! Une absence de particules fines et de rejet de carbone particulièrement appréciable en milieu urbain, mais aussi à travers nos campagnes. Des caractéristiques qui devraient entraîner un engouement pour les véhicules à hydrogène. Cependant, le développement presque ex nihilo et les caractéristiques de l’avitaillement en hydrogène impliquent aujourd’hui une utilisation de ce vecteur d’énergie par des flottes « captives ». Non que l’hydrogène souffre de manque d’autonomie, puisque, au contraire, un « plein » effectué en quelques minutes seulement permet de parcourir une distance comparable à celle de véhicules diesel, mais parce que, d’une part, le nombre de stations est encore trop limité et que, d’autre part, celles-ci demandent des techniques particulières.
Molécule la plus légère, le dihydrogène doit être compressé* à 700 bars (ou à 350 bars) pour offrir un volume compatible avec les dimensions des réservoirs actuels des véhicules. Par ailleurs, le transport par citerne n’est ni économiquement ni techniquement intéressant. Il est donc nécessaire de réaliser la production par électrolyse sur place. Une station hydrogène doit donc intégrer un poste de production et un poste de compression, avec un coût de plusieurs centaines de milliers d’euros.
D’autre part, dans un premier temps, seuls des flottes de véhicules ou des engins de transport lourds (bateau, TER) peuvent justifier une utilisation suffisamment importante des stations. Ces stations sont bien entendu adaptées pour l’avitaillement de véhicules particuliers, mais, seule une densité suffisamment importante (corrélée à une baisse des prix) permettrait, à notre avis, dans un deuxième temps de développer ce marché.
Des bus à hydrogène
Les initiatives territoriales se multiplient dans de nombreux domaines. Généralement, là où se trouve une station se trouve un projet de mobilité porté par une collectivité ou un industriel.
Avant de retrouver dans les pages suivantes les projets retenus lors de l’appel à projets lancé par l’ADEME, nous avons souhaité brosser un éventail d’initiatives (non exhaustif) qui montrent les usages de la mobilité hydrogène.
Les bus à hydrogène sans rejet, mais disposant d’une grande autonomie, sont en première ligne. Pionnière en la matière, la communauté d’agglomération Pau-Pyrénées, labellisée « Territoire Hydrogène » en 2016, a prévu de longue date la mise en service d’une ligne de bus hydrogène appelée Fébus. Les bus Van Hool utilisés sont équipés de piles à combustible du canadien Ballard ; 174 kg d’hydrogène par jour seront nécessaires à la circulation en autonomie des 6 bus sur un axe gare de Pau-Hôpital. L’électrolyse sera réalisée sur place à partir d’électricité provenant de panneaux solaires. Pour le syndicat mixte des transports Pau Béarn Pyrénées Mobilités, le choix de bus à hydrogène, c’est d’abord zéro émission, le confort d’usage et le silence, mais c’est aussi l’autonomie de plus d’une journée et une recharge rapide. La communauté de l’Auxerrois a été également retenue dans l’appel à projets pour 5 bus hydrogène. Mais c’est à Houdain, dans le Pas-de-Calais, que seront désormais exploités les premiers bus hydrogène 100 % français Businova, avec une ligne périurbaine inaugurée le 21 juin dernier. Ces bus conçus par la société Safra (une entreprise d’Albi fondée en 1955) sont dotés d’une pile à combustible fournie par Symbio (la société hydrogène rachetée par Michelin cette année). Outre la flexibilité de leur plate-forme mécanique, ces bus présentent la caractéristique d’avoir des réservoirs d’hydrogène à 350 bars (et non à 700 bars). Cela demande certes plus de volume, ce qui n’est pas un problème pour des véhicules de cette taille, mais cela simplifie l’installation des réservoirs et réduit finalement les coûts. L’usage de pression plus basse est une voie à étudier pour réduire les coûts sur de gros véhicules, car les réservoirs à 700 bars sont onéreux et techniquement plus complexes. Les 4 bonbonnes de forme cylindrique situées sur le pavillon et qui contiennent 28 kg d’hydrogène permettent une autonomie de plus de 300 km. Pour ce qui est de l’avitaillement, c’est McPhy qui fournit les électrolyseurs, alors qu’Engie fournit de l’électricité garantie 100 % renouvelable.
Le train du changement
Alors que 50 % des locomotives TER fonctionnent encore au diesel, même si ce mode de transport est cinq fois moins polluant que la voiture individuelle, la SNCF souhaite accélérer le déploiement du train à hydrogène et prévoit la mise en service de TER à hydrogène dès 2022. Une arrivée qui s’inscrit dans le plan SNCF de verdissement du ferroviaire et la sortie du diesel d’ici à 2035. Les premiers essais de TER à hydrogène, développés parallèlement au TER hybride et aux recherches sur les biocarburants, sont ainsi prévus au cours de l’année 2021. De nombreuses régions sont d’ores et déjà intéressées pour faire circuler des TER à hydrogène et, en particulier, la Bourgogne-Franche-Comté, l’Occitanie, l’Auvergne-Rhône-Alpes et les Hauts-de-France.
Bateaux et camions
Portée par la PME varoise Les Bateliers de la Côte d’Azur, une navette maritime à hydrogène sera déployée dans la rade de Toulon et pourra embarquer jusqu’à 200 passagers.
Les liaisons maritimes avec les îles sont en effet de gros consommateurs de carburant. D’autres gestionnaires, par exemple le conseil départemental du Morbihan, s’intéressent au bateau à hydrogène, et de nombreux développements sont en cours dans les domaines maritime, fluvial, de la pêche, du transport de passagers. Ainsi, portée par un consortium rassemblé autour de la CCI du Var, l’initiative HYNOVAR a été retenue par l’ADEME dans le cadre de son appel à projets « Écosystèmes de mobilité hydrogène ».
Constitué de différentes briques, ce projet prévoit notamment la création d’une navette maritime à hydrogène, la mise en place d’une station hydrogène avec électrolyseur, ainsi que des infrastructures permettant de mutualiser les applications terrestres et maritimes.
Plusieurs projets sont aussi en cours concernant les poids lourds, notamment dans la région de Marseille. Ce sont en effet des véhicules bien adaptés à l’hydrogène, particulièrement ceux de livraison sur les derniers kilomètres, avec des normes Crit’Air amenées à se durcir… Dans un cadre urbain, l’hydrogène est également propice aux véhicules spéciaux du type benne à ordures.
VU, VL, taxis
De gros acteurs de la livraison font part de commandes de centaines de véhicules utilitaires à hydrogène. Ainsi, DHL a annoncé sa coopération avec le fabricant allemand StreetScooter pour le développement du H2 Panel Van, un fourgon doté d’une pile à combustible pour une autonomie de 500 km et un chargement de plus de 10 m³.
PSA s’intéresse également à ce secteur et annonce une gamme d’utilitaires hydrogène dès 2021 pour les flottes professionnelles. Quant à Symbio, il pense mettre ses piles à combustible dans les véhicules utilitaires, les véhicules légers et les poids lourds.
En ce qui concerne les taxis, c’est HysetCo, une alliance composée de la compagnie de taxis Hype, de Toyota, d’Idex et d’Air Liquide, qui veut démocratiser les taxis à hydrogène avec un projet de 600 véhicules à Paris dès la fin de 2020. Hype (Société des taxis électriques parisiens) possède déjà une centaine de véhicules et quatre stations de charge (notamment à Orly et Roissy), deux autres étant en projet. L’objectif d’HysetCo est bien d’équiper à terme l’ensemble des taxis et VTC avec cette technologie. Avant les JO de 2024 ?
Dans la catégorie véhicule légers, on note un élargissement de l’offre. Trois constructeurs commercialisent actuellement chacun un modèle carburant à l’hydrogène. Hyundai a ouvert le bal, en 2015, avec le SUV ix35, désormais remplacé par le Nexo (4,67 m, 163 ch, 72 000 €) et Toyota propose la Mirai (4,89 m, 154 ch, 78 900 €). Honda commercialise la berline Clarity (4,91 m, 176 ch), qui n’est pas disponible actuellement en Europe. En 2021, Toyota et Hyundai prévoient une production annuelle de 30 000 voitures à hydrogène. Peugeot s’intéresse au secteur tandis qu’Audi et BMW lanceront, à leur tour, un modèle de série. Les véhicules particuliers ne se développeront cependant pas avant qu’un nombre suffisant de stations soit disponible.
La Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) prévoit de passer d’une vingtaine de stations en 2018 à 100 stations en 2023, puis à entre 400 et 1 000 stations en 2028. Le développement des stations de recharge hydrogène se poursuivra selon la logique dite des « flottes captives », qui consiste à aider au déploiement de stations à proximité des acteurs qui font le choix de l’hydrogène. Ainsi, le plan de déploiement de l’hydrogène vise à créer des écosystèmes territoriaux de mobilité hydrogène sur la base notamment de flottes de véhicules professionnels. Mais la réalité pourrait dépasser les prévisions. En parallèle, la filière, réunie avec Mobilité Hydrogène France, consortium spécialisé de l’AFHYPAC, a défini un plan de déploiement jugé réaliste de 250 stations et 120 000 véhicules d’ici à 2024, puis de 600 stations et 800 000 véhicules à l’horizon 2030. Il est lui aussi fondé sur l’approche des flottes captives.
* Nous n’évoquons pas ici la liquéfaction à − 253 °C, réservée à de très rares usages.