La réflexion est venue d’un de mes étudiants en médecine, qui m’avoua qu’il adorait l’odeur de vanille qui régnait dans la maison qu’il partage avec des amis qui vapotent… « C’est bon, non ? » m’a‑t-il demandé. Ma réponse n’a pas été spécialement enthousiaste. « Hé bien non. Si vous pouvez sentir la vanille, vous respirez aussi probablement de la nicotine… ».
La nicotine est un alcaloïde (comme la caféine et la morphine) toxique particulièrement vicieux car incolore et inodore. Elle est de plus extrêmement bien absorbée par nos voies respiratoires, y compris le nez, la bouche, les bronches… et même les oreilles. Les fumeurs expirent non seulement de la nicotine mais aussi des produits chimiques absorbés à partir de leurs cigarettes, y compris électroniques. Elles contiennent ces fameux arômes à l’odeur sucrée… ainsi que des particules fines et ultra-fines, divers composés chimiques (glycérol, formaldéhyde, etc.) spécifiques aux vapoteuses voire des métaux – mais pas de goudron ou de monoxyde de carbone. Ceux qui les côtoient peuvent alors les respirer. Les défenses pulmonaires des fumeurs, des vapoteurs et de leurs voisins sont dépassées en cas d’expositions répétées.
Le vapotage est très répandu, chez les jeunes âgés de 18 à 24 ans notamment. Or, bien que les effets du vapotage sur la santé fassent l’objet de nombreux débats, les risques liés au vapotage passif et les conséquences sur la santé des non-fumeurs comme leur droit à respirer de l’air pur sont peu discutés. Une étude menée en 2017–2018 a montré que 16 % des adultes, dans douze pays européens, étaient exposés à des aérosols de cigarette électronique en intérieur – bars, restaurants, bureaux… (où la cigarette classique est bannie).
Des preuves émergent
En 2019, des chercheurs ont examiné le contenu de la vapeur exhalée par des utilisateurs de cigarettes électroniques dans des espaces confinés, comme les voitures ou des lieux plus grands. Bien qu’ils soient inférieurs à ceux des cigarettes de tabac, les niveaux de substances toxiques expirées sont décrits comme une « pollution de l’air ambiant » qui devrait être évitée pour protéger la santé des non-fumeurs et des non-vapoteurs. Les effets du vapotage passif sur le système cardiovasculaire sont en train d’être étudiés, et les chercheurs l’ont mis en regard du tabagisme passif, connu pour être capable d’obstruer les artères et de causer des problèmes de coagulation. Désormais, les publications qui démontrent les effets respiratoires nocifs du vapotage passif se multiplient.
Les leçons du tabagisme passif
À la fin des années 1980, le tabagisme passif a donné l’impulsion nécessaire pour modifier la législation relative au tabagisme. Les professionnels de santé savaient depuis des décennies, grâce à une étude menée auprès de médecins britanniques fumeurs, que le tabagisme causait d’immenses dommages et une mort précoce chez les fumeurs. Mais ce n’est que plus tard qu’ils ont commencé à comprendre que le fait de vivre avec un fumeur, de travailler avec des fumeurs ou d’être exposé de manière répétée à la fumée de quelqu’un d’autre pouvait également provoquer cancer du poumon, bronchite chronique, aggraver l’asthme et les maladies cardiaques chez un non-fumeur. Les effets du tabagisme passif sur les enfants sont apparus plus préoccupants encore.
Les groupes de défense des droits ont commencé à défigurer ou à « relooker » les panneaux publicitaires sur le tabac et à ridiculiser sa publicité. En 1982, j’ai écrit un article publié dans le Medical Journal of Australia intitulé « A Tracheostomy for the Marlboro Man » sur ces efforts, les répercussions juridiques et les défis de l’industrie du tabac.
Dans les années 1990, les non-fumeurs ont commencé à poursuivre les lieux d’accueil et de travail qui les exposaient à la « fumée secondaire » issue du mélange entre la fumée d’une cigarette et celle expirée par un fumeur. Les succès remportés ont conduit à des changements dans la législation. Les attitudes ont aussi changé et les droits des non-fumeurs ont été peu à peu plus visibles. Nous vivons tous dans un environnement sans fumée en Australie depuis des décennies (depuis 15 ans en France, ndlr).
Que dit la loi ?
En Australie, les restrictions relatives au vapotage sont conformes aux lois sur les zones non-fumeurs et aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé. Par exemple, la législation de la Nouvelle-Galles du Sud indique que les personnes ne peuvent pas utiliser d’e‑cigarettes dans les zones non-fumeurs en vertu du Smoke-free Environment Act 2000. Ces zones comprennent :
• tous les lieux publics fermés ;
• les espaces situés à moins de 10 m d’équipements de jeux pour enfants ;
• les piscines publiques ;
• les zones réservées aux spectateurs sur les terrains de sport ou autres zones de loisirs utilisées pour des événements sportifs ;
• les arrêts et les quais des transports publics, y compris les quais de ferry et les stations de taxis ;
• les espaces situés à moins de 4 m d’un point d’accès piétonnier à un bâtiment public ;
• les zones commerciales de restauration en plein air ;
• les voitures avec un enfant de moins de 16 ans.
Le vapotage dans les véhicules de transport public tels que les trains, les bus et les ferries est également interdit.
Cependant les gens continuent de fumer chez eux et dans d’autres endroits autorisés. Le changement d’attitude qui a rendu le tabagisme en présence d’autres personnes socialement inacceptable doit encore se développer.
(En France, il est interdit de vapoter dans les établissements scolaires et destinés à accueillir des enfants, les lieux de travail collectif, mais pas dans les établissements de santé, les restaurants, cafés, centres commerciaux et lieux de travail accueillant du public, « sauf si le responsable des lieux en décide autrement », ndlr.)
Les zones sans fumée suffisent-elles ?
Bien que le débat se poursuive sur le vapotage, sa sécurité et son efficacité en tant qu’aide au sevrage, nous ne pouvons pas attendre des années pour mesurer tous les effets du vapotage passif, même s’il apparaît moins nocif que le tabagisme passif. Basé sur le principe de précaution en santé publique, le défi est d’informer dès aujourd’hui les non-vapoteurs, en particulier les jeunes non-vapoteurs, sur le phénomène – et leur droit à vivre « sans vapotage », comme à respirer un air propre. Quitte à prendre position pour défendre ces droits, comme cela a été fait des décennies plus tôt contre le tabagisme passif.
En partenariat avec : theconversation.fr