Quel est le réel bilan des carburants GNV, BioGNV et électriques ? Pour le savoir, nous avons confronté plusieurs études dont nous faisons une synthèse ici. Globalement, le bioGNV arrive en très bonne place et le véhicule thermique ne mérite pas sa condamnation.
L’IFPEN a réalisé en 2019 une « étude ACV de véhicules roulant au GNV et bioGNV ». L’objectif de cette étude était d’évaluer les impacts environnementaux potentiels de différents moyens de transport routier (personne et marchandise), et à différents horizons temporels (2019 et 2030), en prenant en compte à la fois le cycle de vie du véhicule et le cycle de vie du carburant (www.IFPENergiesnouvelles.fr). Cette étude se concentre sur le seul indicateur de réchauffement climatique via les émissions de gaz à effet de serre (GES). L’ACV des différents segments de véhicules (véhicule particulier, bus, véhicule utilitaire léger, poids lourd de livraison), couplés aux technologies de propulsion (moteur thermique, hybride, électrique) et à leurs vecteurs énergétiques associés : carburants fossiles, bioGNV et mix électrique, a permis de comparer entre eux les options technologiques envisagées, et d’identifier celles les plus adaptées aux différents contextes d’un point de vue environnemental centré sur le changement climatique.
Méthodologie générale
La première étape de l’étude a été de réaliser une évaluation systématique de la consommation énergétique des véhicules pour les différents segments analysés dans le projet (Figure 1), à savoir :
• Le segment des véhicules légers, avec 2 gammes de véhicules : cœur de gamme (segment C) et haut de gamme (segment D) ;
• Le segment des bus (12 m) ;
• Le segment des véhicules utilitaires (de type Renault Master) ;
• Le poids lourd de livraison à dominante urbaine (12 tonnes).
Nous n’évoquerons pas ici les résultats pour les véhicules légers, qui vont dans un sens similaire aux véhicules lourds.
Après cette première approche énergétique du réservoir à la roue (Tank-to-Wheel), chaque type de véhicule et groupe motopropulseur (GMP) a ensuite été évalué suivant la méthodologie ACV (analyse cycle de vie), intégrant la production du vecteur énergétique mais également la fabrication du véhicule. Sans détailler la méthodologie, l’ACV a été réalisée conformément aux normes ISO 14040:2006 et ISO 14044:2006 et à l’aide du logiciel commercial SimaPro®. La base de données utilisée est Ecoinvent v.3.5. La modélisation choisie est par défaut « allocation, cut-off by classification ». On fait ici l’hypothèse que les véhicules sont assemblés en France et également utilisés en France (voir site de l’IFPEN).
Bus, VUL et PL 12T
Les résultats pour les bus sont présentés sur la Figure 12 pour l’année 2019, et la Figure 13 pour l’année 2030.
Étant donné que les bus parcourent beaucoup de kilomètres (40 000 km par an pendant 12 ans), la contribution aux émissions de GES de la fabrication de la carcasse et du groupe motopropulseur est moins importante proportionnellement que pour les véhicules légers. Mais cela vaut aussi pour la fabrication de la batterie. Ce sont donc les émissions provenant de la production et de la combustion du carburant qui sont prépondérantes.
Les bus 100 % électriques présentent des résultats légèrement inférieurs au bus thermique fonctionnant au bioGNV.
Les bus Diesel et GNV fossile présentent des émissions de GES largement supérieures à celles des bus électriques ou bioGNV. L’apport de l’hybridation diminue bien sûr les émissions mais elles restent tout de même 3 à 4 fois plus élevées que celles des bus électriques.
Côté véhicules utilitaires légers (VUL), les résultats (des Figure 14 et Figure 15) présentent les émissions de GES des VUL pour les années 2019 et 2030. L’analyse rejoint celle faite pour les véhicules légers de segment D : la taille importante de la batterie (80 et 100 kWh en 2019 et 2030) a pour conséquence des émissions importantes lors de leur production. Les VUL thermiques (Diesel ou GNV) sont très émetteurs, contrairement à ceux roulant au bioGNV.
Les résultats pour les poids lourds de livraison 12 tonnes sont représentés sur les Figure 16 et Figure 17. Avec les 372 000 kilomètres parcourus en 12 ans, la phase d’utilisation (avec la consommation du carburant) est prépondérante. Les meilleurs résultats sont apportés par la motorisation thermique fonctionnant au bioGNV.
Avantage BioGNV
Par suite des résultats de cette étude, plusieurs éléments de conclusion ou enseignements sont à souligner :
En ce qui concerne les véhicules légers, les véhicules utilitaires et même les poids lourds 12 tonnes, l’utilisation d’un moteur thermique alimenté exclusivement au bioGNV donne les meilleurs résultats en termes d’émissions de GES, suivi de près par les hybrides rechargeables fonctionnant exclusivement à l’électrique (cas théorique car difficilement applicable en conditions réelles avec seulement 50–70 km d’autonomie, notamment pour les parcours longs). Viennent ensuite les véhicules électriques. L’hybridation du moteur bioGNV améliore encore les résultats, comme pour les carburants essence, gazole ou même GNV.
Les véhicules électriques, avec une tendance allant vers des batteries de grande capacité, sont ainsi pénalisés par la quantité importante de CO2 émise lors de la fabrication des batteries, provenant en grande partie de l’extraction et du raffinage des métaux utilisés (lithium, cobalt, nickel…), et par les procédés énergivores mis en œuvre pour la fabrication et l’assemblage des cellules.
Les véhicules roulant au GNV (fossile) présentent de meilleures émissions GES que leurs équivalents diesel et essence, que ce soit en 2019 ou en 2030.
La capacité de production du bioGNV en France (entre 1 et 1,5 TWh) permettrait d’alimenter environ 100 000 à 150 000 véhicules. Il faudrait donc augmenter fortement les unités de méthanisation pour pouvoir assurer un déploiement massif des véhicules bioGNV.
Enfin, souligne l’étude, une solution pour déployer plus rapidement les véhicules bioGNV pourrait être d’utiliser un mix GNV fossile et bioGNV. Cela permettrait d’alimenter un nombre de véhicules plus important, tout en gardant un bilan GES très favorable, surtout si la motorisation venait à être hybridée.
Carbone 4 : Décarboner le transport routier ?
Carbone 4 est le premier cabinet de conseil indépendant spécialisé dans la stratégie bas-carbone et l’adaptation au changement climatique. Son étude « Quelle motorisation choisir pour vraiment décarboner le transport routier ? » de novembre 2020 est une mine d’informations dont voici une petite synthèse (étude complète à retrouver sur www.carbone4.com). Afin de hiérarchiser les différentes options énergétiques accessibles, l’un des juges de paix sera l’empreinte carbone en cycle de vie, en prenant en compte la fabrication, l’usage et la fin de vie des véhicules, et l’approche du « puits à la roue » pour les vecteurs énergétiques, indique ce rapport avec bon sens.
BioGNV sur le podium
En considérant l’empreinte carbone d’un véhicule professionnel (VUL, autobus, tracteur routier) sur son cycle de vie (analyse ACV), c’est-à-dire sa fabrication, puis son usage pendant 12 ans et enfin sa fin de vie (cf. Figure 1, Figure 2 et Figure 3), les véhicules les moins émissifs sont :
- Les véhicules au bioGNV
Ils présentent une réduction d’environ 75 % de l’empreinte carbone par rapport à un véhicule thermique diesel. Cette conclusion favorable s’applique quel que soit le type de véhicule considéré (VUL, autobus, tracteur routier). L’empreinte carbone très faible est due au facteur d’émissions du biométhane (44 gCO2e/kWh3) et à l’hypothèse que les véhicules au gaz seraient développés avec une hybridation légère (comme pour les véhicules thermiques conventionnels). Le facteur d’émissions du biométhane variant par ailleurs peu selon les pays de production, ce constat reste valable dans l’ensemble de l’Europe. En revanche, le potentiel de biométhane disponible pour la mobilité lourde est limité (voir plus loin). À noter que la filière de production par méthanisation présente des co-bénéfices qui se traduisent par des émissions évitées au niveau du système de traitement des déchets ou du système agricole. Ces co-bénéfices ne peuvent pas être reportés sur le facteur d’émissions du biométhane produit, mais sont tout à fait valorisables en tant que contribution à la décarbonation des autres secteurs. Un deuxième point qui améliore encore leur bilan CO2.
- Les véhicules électriques à batterie, quel que soit le mix électrique de la région considéré
Les VEB présentent une réduction de 60 à 85 % de l’empreinte carbone par rapport à un véhicule thermique fossile quel que soit le pays considéré, et ce malgré la fabrication de la batterie et son recyclage. Un mix décarboné (France, électricité renouvelable) permet les meilleures performances, mais même un véhicule électrique à batterie vendu aujourd’hui en Allemagne, voire en Pologne, reste largement moins émissif qu’un véhicule thermique comparable.
À noter, certains remettent en cause le calcul en indiquant qu’il ne prend pas en compte les composants électroniques des véhicules électriques qui sont plus élevés.
- Les véhicules électriques à hydrogène produit par électrolyse ou par vaporeformage de biométhane, avec une électricité décarbonée (réseau français ou renouvelable)
Le VEH présente de très bons résultats à condition que l’hydrogène lui-même soit bas carbone ! Si ce dernier est produit par électrolyse, l’électricité doit être décarbonée (comme en France ou avec des énergies renouvelables). A contrario, la production par électrolyse avec l’électricité de réseau conduit à des résultats très défavorables dans des pays comme l’Allemagne ou au Benelux. De même, si l’hydrogène est produit par vaporeformage, il doit l’être avec du biométhane, ce qui pose alors la question de la bonne allocation d’une ressource limitée. Le potentiel de production en hydrogène bas carbone restera encore faible pendant de nombreuses années, et ce pour couvrir une multiplicité de besoins (notamment industriels).
À noter également, les autres biocarburants liquides ne semblent pas à la hauteur de la décarbonation d’après cette étude.
« Concernant le biométhane, nos calculs ont confirmé qu’il représente une excellente piste pour décarboner le transport routier. À son débit cependant, l’utilisation de bioGNV a moins d’impact que les solutions électrifiées sur la réduction de la pollution de l’air ou du bruit en zone dense. Mais un avantage apparemment fort de la filière gaz est que les réseaux de transport et de distribution sont déjà en place, ce qui limite la question des infrastructures », précise l’étude qui s’interroge sur la part de GNV fossile dans le mix gaz.
L’alternative idéale
Le BioGNV disponible de suite, bénéficiant d’un réseau de distribution déjà existant en fort déploiement et adapté au transport longue distance en GNC ou en GNL, semble donc sortir gagnant pour les transports lourds. Le CO2 reste certes élevé au pot d’échappement (alors qu’il est plus faible en ACV), les zones urbaines denses pourraient donc préférer des véhicules électriques ou fonctionnant à l’aide d’hydrogène. Mais pour la plupart des usages, le bioGNV ressort gagnant. « Le biométhane est la seule solution technologique véritablement décarbonante disponible à date pour les tracteurs routiers, en attendant l’arrivée des solutions “zéro émission” », indique le rapport de Carbone 4.
Reste le potentiel de production. Si la trajectoire conduit à horizon assez court (2033) à un réseau 100 % biogaz, parvenir à ces objectifs de production demande un accompagnement de la filière qui est secouée comme on l’a vu précédemment par la grille tarifaire de rachat en baisse, le coût de l’énergie en hausse et l’incertitude politique sur les moteurs thermiques. Cela demande aussi d’accepter une proportion de GNV naturel qui diminuera au fil du temps mais qui est indispensable aujourd’hui pour développer la filière.
Potentiel de biométhane
« Le gros point d’interrogation concernant le biométhane porte justement sur sa disponibilité réelle à grande échelle pour le transport », poursuit l’étude. « D’après un panorama réalisé à partir de différents travaux de référence (ADEME, IEA, ICCT, CERRE, Gas for climate), le champ des possibles apparaît ainsi relativement vaste pour sa production. Pour se fixer les idées néanmoins, l’étude a traduit en termes comptables ce que l’objectif de la Stratégie Nationale Bas-Carbone sur le gaz renouvelable dans le transport signifiait en matière d’approvisionnement de la flotte de véhicules roulant au bioGNV, en France à l’horizon 2050, avec des hypothèses favorables. Dans cette configuration avantageuse, la proportion de PL pouvant rouler avec 100 % de bioGNV en 2050 est de l’ordre de 12 % (y compris les autobus). En doublant la quantité de biométhane disponible pour le transport (passant de 40 à 80 TWh), on arriverait alors à une valeur haute de 24 % des poids lourds pouvant rouler avec 100 % de bioGNV en France en 2050. Cette approche reproduite sur l’UE conduit à des résultats tout à fait similaires : environ 1/4 des poids lourds européens au mieux pourront rouler avec 100 % de bioGNV en 2050, 1/10 étant sans doute plus réaliste d’après l’étude. D’autres sources évoquent plutôt un potentiel de 25 à 30 % du transport lourd », conclut l’étude.
CO2 : BioGNV gagnant !
Un potentiel qui selon certains experts serait plus élevé et qu’il serait mieux d’orienter vers la mobilité lourde pour laquelle le BioGNV coche toutes les cases. Nous avons noté dans notre enquête que les différentes études et expertises ne s’accordent pas sur les mêmes taux d’émission de CO2 pour les véhicules électriques. Il semblerait que les composants électroniques ne soient pas bien intégrés dans les calculs et/ou que le type de batterie ne soit pas le même. Mais globalement, l’analyse en cycle de vie des véhicules électriques n’est pas si intéressante que cela en termes de CO2.
En tout état de cause, l’interdiction des moteurs thermiques se trompe de cible. Pour rester logique et pouvoir atteindre les objectifs de décarbonation, il est nécessaire de regarder les émissions de CO2 en ACV et non au pot d’échappement. De plus, dans ce cadre, le BioGNV reste un des principaux carburants pour atteindre ces objectifs.