Le 10 février 2023, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a publié un papier de position (1) proposant des critères minimaux qu’un produit financier devrait satisfaire afin d’être classé dans les catégories « Article 9 » ou « Article 8 » selon la réglementation européenne Sustainable Finance Disclosure Regulation (SFDR). Cette prise de position est la bienvenue pour préciser la conception de la « durabilité », car l’AMF appelle désormais à une exclusion des énergies fossiles des fonds durables.
Une avancée dans la lutte contre le greenwashing
Entrée en vigueur en 2021, la réglementation SFDR vise à encadrer la publication d’informations des acteurs financiers et de leurs fonds, notamment pour les fonds avec des prétentions ESG. N’ayant pas prévu d’exigences minimales pour qualifier le degré de durabilité des produits financiers, la mise en œuvre de SFDR a laissé place au greenwashing. En novembre dernier, alors qu’un consortium de médias publiait une enquête révélant la présence d’entreprises très polluantes dans les fonds déclarés durables par les gestionnaires d’actifs européens – dont les Français Amundi, AXA IM et BNP Paribas (2) – Reclaim Finance demandait aux régulateurs d’agir – dont l’AMF – pour mettre fin à ces pratiques. L’Autorité européenne des marchés financiers (ESMA) avait d’ailleurs appelé les régulateurs nationaux à procéder eux-mêmes à des vérifications pour empêcher le greenwashing (3).
En appelant désormais à l’exclusion des énergies fossiles des fonds dits « durables », cette prise de position représente une avancée importante dans la bataille contre le greenwashing des acteurs financiers et fait de l’AMF le premier régulateur national en Europe à prendre une position publique aussi explicite.
Des propositions d’exclusion à clarifier
La position de l’AMF laisse cependant des imprécisions qu’il conviendra de lever pour supprimer tout risque de greenwashing.
Pour les fonds Article 9 (c.-à‑d. les fonds qui ont un objectif d’investissement durable), l’AMF propose d’exclure toutes les activités liées à des infrastructures fossiles, à l’exception d’un nombre très faible de centrales à gaz et d’infrastructures de transport. Les exclusions se faisant au niveau des entreprises, et non des activités, il faudra clarifier si cette exclusion concerne bien l’ensemble des entreprises qui ont des activités fossiles non alignées avec la taxonomie de l’Union européenne. L’imprécision de la formulation actuelle laisse place à un risque : si ce point n’est pas clarifié par l’AMF, de nombreuses entreprises pourraient passer à travers les mailles du filet, notamment si l’exclusion ne s’appliquait par exemple qu’à certaines filiales et non au niveau de la maison-mère.
Pour les fonds Article 8 (c.-à‑d. les fonds qui promeuvent l’ESG), l’AMF propose des exclusions plus légères. Les entreprises fossiles pourraient s’y trouver à condition d’avoir un « plan de transition convainquant », qui devrait être accompagné d’un plan de fermeture des actifs fossiles. La pertinence de cette proposition dépendra des informations obligatoires qui devront s’y trouver. En effet, ces plans devront être suffisamment précis pour permettre leur évaluation et exclure le développement de nouvelles infrastructures de production ou de transport d’énergies fossiles. Il faudra notamment y inclure des indicateurs sur la répartition des CAPEX de l’entreprise et sur la baisse de la production d’énergies fossiles à court terme, condition sine qua non pour s’engager vers la fermeture des actifs.
Enfin, l’AMF recommande également que des informations détaillées sur l’engagement réalisé au niveau du fonds soient publiées. Ici encore, l’utilité d’une telle mesure pour lutter contre le greenwashing dépendra de la pertinence des informations demandées aux acteurs financiers. A minima, la publication des votes et des demandes précises adressées aux entreprises en portefeuille permettrait de réduire le risque de greenwashing.
Bien que la proposition de l’AMF laisse des imprécisions qui devront être levées afin d’éviter tout greenwashing, cette publication reste une avancée concrète. C’est désormais à la Commission européenne de prendre le relais pour assurer que les entreprises développant de nouveaux projets d’énergies fossiles ne puissent pas avoir leur place dans les fonds vendus comme « durables » aux investisseurs.
En partenariat avec Reclaim Finance.