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Méthanisation : innover dans l’adversité

Lors de la 10e convention d’affaires de Biogaz Vallée à Saint-Étienne fin novembre, deux tables rondes ont permis de faire le point sur l’actualité de la méthanisation. Retour sur la crise énergétique, la législation et les solutions de survie pour une filière prise en ciseaux entre la hausse des coûts et la politique énergétique de la France et de l’UE. Avec un constat d’abord brossé par Jacques Viard de l’Ademe.

Soyons clairs, le modèle d’affaire de la méthanisation est en pleine crise », indique d’emblée Jacques Viard, Expert national méthanisation et référent régional Auvergne-Rhône-Alpes, Agence de la transition écologique ADEME. « Alors même que le potentiel de la méthanisation est considérable et que la France est l’un des pays qui comptent le plus de ressources, nous sommes dans un brouillard actuellement. La seule certitude est que l’on maîtrise le prix de la molécule, ce qui n’est pas le cas du gaz fossile. En 2017/2018, le gaz naturel était à 25 €/MWh, le biométhane à 100 €/MWh, aujourd’hui, le biométhane est moins cher que le gaz naturel », explique Jacques Viard, qui évoque le changement radical de la donne énergétique. 

« L’étude PRODIGE faite au premier semestre 2022 a montré qu’un dispositif incitatif pouvait rendre les installations rentables. Mais aussi que cette rentabilité pouvait être affectée. Or, les devis des projets ont connu une inflation de 6 à 15 % en 2022, les arrêtés ICPE avec leur contrainte ajoutent 5 à 10 % de coûts. Sur l’enveloppe des projets en Auvergne-Rhône-Alpes, l’inflation est de 15 à 20 % : beaucoup ont été abandonnés. Je ne critique pas le texte ICPE qui tire la méthanisation vers un meilleur niveau technique, mais il est tombé dans un contexte très défavorable. Car le coût de l’électricité est devenu insupportable ! Si vous passez de 40/50 €/MWh à 150/160 €/MWh, vous passez par exemple d’une charge de 15 000 € à 60 000 €, soit 45 000 € de différence, et votre résultat net est réduit à zéro ! Certes, en contrepartie les prix ont été réévalués. Mais c’est très angoissant, si vous perdez de l’argent, alors vous pouvez arrêter de travailler. Il reste une alternative : essayer d’atteindre une autonomie énergétique. Plusieurs pistes sont possibles. La première est de mettre en place une installation photovoltaïque sur toits ou sur tracker. C’est intéressant mais l’autoconsommation ne couvre pas toute la consommation, 15, 20, 30 % dans le meilleur des cas, car la production n’est pas lisse, en hiver elle peut être même très faible au moment des prix d’heure pleine. »

La piste de la cogénération

Une autre solution (mais pas sur le court terme) est la mise en place d’une cogénération en complément avec utilisation de la chaleur produite pour le process et utilisation de l’électricité pour le process. Mais il faut avoir les capacités de production de biogaz suffisantes et l’investissement est de l’ordre de 300 à 400 k€.

Autre solution, la valorisation du CO2 biogénique produit par l’installation. L’ADEME discute de ce sujet en ce moment avec des acteurs de ces métiers : dimensionnement, qualité de CO2… Mais ce n’est pas pour du court terme. Enfin, nous encourageons le dialogue entre collectivités et agriculteurs, avec en ligne de mire le gisement de déchets organiques et le bioGNV. Autre piste à explorer, une valorisation optimum du digestat, avec un prix de l’azote multiplié par 2 ou 3 (passé de 200 à 600 €/tonne), on peut diminuer jusqu’à 80 % ses achats d’engrais, voire en revendre ou l’échanger contre gisement d’intrants pour une production accrue ». 

Alors, faut-il attendre une stabilisation du marché de l’énergie pour investir ?

« À notre avis, non, mais nous discutons avec le ministère et les professionnels pour trouver un modèle plus flexible avec peut-être une péréquation entre les prix du gaz naturel et ceux du biogaz. Hier, le biogaz était plus cher que le gaz fossile, aujourd’hui c’est l’inverse. On peut trouver un équilibre. Nos réflexions portent aussi sur la possibilité d’accord de gré à gré entre producteur et consommateur. Autre solution, les certificats biométhane, une idée à faire avancer. Mais malheureusement pour le court terme, le marché de l’énergie n’a pas de visibilité en ce moment ».

« L’étude PRODIGE montre qu’avec cette inflation, les petites unités en cogénération et les unités moyennes en injection sont les plus touchées », indique Florent GAGNE, Conseiller énergies renouvelables, Chambre d’agriculture de Haute-Loire. « Globalement, les unités en injection ont plus de marge de manœuvre. Pour ajouter une piste, je dirai qu’il peut être intéressant de trouver un gisement plus méthanogène. Les biodéchets peuvent être intéressants, mais là encore il faut peut-être investir en hygiénisation. En parallèle, on peut trouver d’autres pratiques culturales et d’élevage, réduire les engrais, revendre le digestat à d’autres agriculteurs… »

Audit énergétique

« Nos 500 adhérents nous ont fait part de leurs idées et actions face à l’inflation », explique Adrien DAIN, Animateur technique, Association des Agriculteurs Méthaniseurs de France (AAMF). « La première chose est de faire un audit énergétique de son unité : comprendre les postes, la variation de puissance, gérer les heures creuses, heures pleines, même si nous avons souvent des besoins en énergie constants. C’est important, mais cela ne suffit pas. Sur le très court terme, plusieurs gestionnaires ont fait face à la hausse avec des groupes électrogènes diesel ! Un bouclier d’urgence, mais nous marchons sur la tête, faire de l’énergie renouvelable et être obligé à cause de ces prix de l’électricité décorrélés du réel d’utiliser de l’énergie fossile ! 

Bien sûr, nous disons aux adhérents de travailler sur les intrants pour produire mieux, de les sanctuariser pour être autonomes. Les biodéchets c’est bien, mais si tout le monde s’y met, que restera-t-il ? Pour les porteurs et les exploitants en place, nous donnons un message de prudence et invitons à réévaluer le business plan car entre prix d’achat réévalué et postes de charges en hausse, beaucoup de choses ont changé. » « Attention toutefois, l’utilisation de biodéchets implique d’être au régime de l’enregistrement » précise Jacques VIART.

856 euros/MWh !

« Meuhvelec injecte du biogaz sur le réseau depuis 2017 », indique son Président Loïc DETRUCHE. « Nous avons dès le départ misé sur 50 % de notre ration en biodéchet et graisse de restauration très méthanogène, le 50 % restant provenant de la ferme familiale ainsi que d’effluents de voisins donnés contre digestat. De 65 Nm3/h, nous sommes passés à 80 en 2019 et je signe en décembre pour une extension avec Méthalac pour 140 Nm3/h, malgré les mauvaises nouvelles de 2022 et une année 2023 qui s’annonce à mon avis morose. En 2019, j’ai investi dans trois trackers de 66 kW. Mes trackers couvrent 30 à 35 % de ma consommation, ils ont donc amorti le choc en 2022. Je pensais les amortir sur 9 ans, ce sera fait mi 2023 ! En effet, j’achetais mon électricité 55 €/MWh, pour 2022 je suis à 110/115 et en 2023 on me propose… 856 €/MWh en heure pleine et 450 en heure creuse ! Et l’aide de l’État serait de 120 €/MWh maximum ! Je vais produire à perte avec ces tarifs.

À la vue de ces prix délirants, j’ai réfléchi à devenir autonome à 100 % et pour cela à investir dans une cogénération. J’ai signé en septembre 2022 pour 350 000 euros d’investissement pour une cogé qui me permettra de couvrir 100 % de mon électricité, avec peut-être une vente en surplus. »

« Le fait important est à mon avis que peu de projets vont sortir ces deux prochaines années, du fait des prix électriques et de tarifs d’achat qui ont changé », reprend un autre intervenant. « Les derniers projets qui se montent le sont avec les anciens tarifs, je n’en connais pas avec les nouveaux tarifs. »

« Nos conseils pour les porteurs étaient jusqu’ici de faire un bon prévisionnel, de bien établir sa ration, de ne pas se tromper sur le pouvoir méthanogène des intrants, de faire un gros travail d’analyse en amont, d’avoir une bonne autonomie en intrants, de s’entourer de bonnes personnes », poursuit Loïc DETRUCHE. « Mais bon courage aujourd’hui pour faire un prévisionnel ! En tout cas, c’est plus rapide de mettre en place une cogénération électrique que d’attendre une évolution de l’administration ».

Vente de CO2

« La vente de CO2 biogénique souvent pur à 98 % en sortie d’évent est un sujet à regarder », indique Bastien PRAZ, Chargé de développement biométhane, GRDF. « Le marché du CO2 est de 500 000 tonnes/an en France en agroalimentaire, carbo glace, serres… Mais le vendre implique de le liquéfier pour le transporter, et pour la qualité alimentaire, il faut respecter un référentiel. Il semble que cela soit réservé aux unités suffisamment importantes d’au moins de 200 Nm3 de méthane. Un appel à projets régional a été lancé avec 23 lauréats sur l’amont et l’aval : séchage bois, maturation du béton, carbo glace… Nous participons actuellement à un groupe de travail du comité stratégique de filière sur la mise en place d’un label bas carbone pour valoriser le CO2 issu du biométhane. Avec la récupération du CO2, le bilan du biométhane passerait de + 22,4 g à — 125 g, donc un biogaz à émission négative en CO2 !

Le CO2 peut être valorisé comme fluide frigorigène par les frigoristes. Il y a actuellement des tensions sur le marché du CO2 car les sources se tarissent avec le ralentissement de l’industrie et les frigoristes sont intéressés pour avoir une source de CO2 locale. Air liquide récupère déjà un CO2 biogénique en Grande-Bretagne sur un méthaniseur. Mais les sociétés regardent cependant l’aspect économique et la qualité (alimentaire ou industrielle). Il est vrai qu’il y a une pénurie de CO2 et donc d’autres sources seront nécessaires : c’est peut-être une question de temps pour que le prix du CO2 monte. »

« Nous sommes des acteurs de la méthanisation et de la liquéfaction du CO2 », indique Charline DUBOIS d’Air Liquide, présente à la conférence. « Pour nous, le marché du biométhane est très important. La qualité du CO2 est primordiale et nous travaillons en interne pour en regarder la conformité, selon les sources, selon les intrants. Si c’est une culture dédiée ou une CIVE, c’est très différent des biodéchets. »

Pour Xavier JOLY de Gazeo, « la grande industrie a un problème de qualité du CO2. Or, la mise en place d’un analyseur de gaz, c’est tout de suite un investissement de 300 k€. Peut-être faudrait-il miser sur une qualité de CO2 industrielle et non alimentaire en sortie de méthanisation. »

« Ces journées nous enseignent que la double difficulté de la hausse des tarifs de l’énergie et de la baisse des tarifs de rachat de biogaz ont fait bouger notre filière », conclut Grégory LANNOU, Directeur de Biogaz Vallée, en bilan de ces journées. « De nombreux acteurs cherchent et trouvent des solutions, réinvestissent, réinventent leurs unités de méthanisation. La force de l’innovation et de la modernisation de la filière des biogaz se déploie dans l’adversité. »

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