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APSYS : modéliser les phénomènes accidentels pour une meilleure gestion des risques

Hydrogen+. Pouvez-vous nous parler de votre travail concernant la sécurité et les risques industriels liés à l’hydrogène ?

Alban Mahon. Depuis huit ans, je travaille dans le domaine de la quantification des conséquences en lien avec des phénomènes accidentels. Cela regroupe par exemple des incendies, des explosions et des émanations de produits toxiques dans l’atmosphère. L’objectif de ces calculs, et donc de ces études, est de déterminer les distances de sécurité à établir en fonction de seuils prédéfinis dans des documents officiels et de dimensionner les mesures de prévention et de protection adéquates. Cela peut concerner par exemple des flux thermiques en cas de rejet de produits inflammables ou d’incendie. Les éventuelles contraintes liées à l’environnement du site industriel sont également prises en compte dans le cadre de ces études.

Depuis 2021, je travaille également sur le projet d’avion zéro émission d’Airbus. J’y apporte mes connaissances et mon expertise sur la phénoménologie liée à l’utilisation de l’hydrogène comme combustible. Cela concerne bien sûr la question de l’établissement de distances de sécurité entre équipements embarqués, mais également tous les impacts liés à la modification du carburant. En d’autres termes, les exigences actuellement suivies dans le cadre de l’utilisation de kérosène sont-elles toujours applicables ou est-il nécessaire de les faire évoluer spécifiquement pour l’utilisation de l’hydrogène ? Nous évaluons donc tous les impacts de ce changement ainsi que les conséquences en termes de sécurité dans le cadre du stockage et de la distribution d’hydrogène.

Pour ce qui est des méthodes et outils utilisés actuellement dans l’industrie, l’évaluation des risques et des distances de sécurité repose sur plusieurs gammes de modèles, des plus simples aux plus complexes. Ces derniers nécessitent une représentation de la géométrie en 3D et permettent une résolution fine de la physique grâce à l’utilisation de calculateurs, voire de supercalculateurs. Ces modèles, plus complexes, nous permettent par exemple de prendre en compte l’ensemble des phénomènes physiques sans avoir à recourir à de fortes hypothèses.

Les méthodes utilisées dépendent notamment des objectifs et des enjeux des études. Dans le cadre d’infrastructures industrielles ou aéroportuaires mettant en jeu de l’hydrogène, des méthodologies basées sur des corrélations expérimentales sont souvent utilisées. Cela inclut la prise en compte d’hypothèses plus ou moins dimensionnantes en fonction de la maturité du projet en question ainsi que le retour d’expérience de l’ingénieur. Il est également important de noter que la majorité des modèles utilisés ont principalement été développés il y a plus de 20 ans, en lien avec l’utilisation des hydrocarbures.

De ce fait, le développement de la filière hydrogène doit s’accompagner de la mise à jour de ces méthodes de calcul afin de rendre compte de la spécificité de l’hydrogène (produit extrêmement inflammable, aux propriétés physico-chimiques spécifiques) ou des nouvelles conditions d’utilisation (stockage d’hydrogène cryogénique, pression de distribution élevée, etc.).

Par exemple, le stockage de l’hydrogène sous une forme liquide, avec une température proche du zéro absolu, entraîne la considération spécifique de l’impact cryogénique.

Ce travail de mise à jour est une considération actuelle de nombreux acteurs et les nouveaux modèles et bonnes pratiques en lien avec l’hydrogène sont régulièrement publiés. Une part de notre travail consiste donc à exploiter ces nouvelles possibilités et à établir de nouvelles pratiques de calcul.

Pour autant, certaines problématiques liées à l’hydrogène sont encore mal connues. C’est par exemple le cas des phénomènes de détonation qui s’accompagnent d’ondes de choc et de fortes vitesses de combustion.

Ces considérations purement physiques sont au cœur des préoccupations de certains laboratoires et leur recherche viendra sans aucun doute alimenter les futures versions des modèles ou le développement de nouvelles approches de calcul.

Pour terminer, il est important de rappeler que le regard critique de l’ingénieur chargé de ces estimations est primordial afin d’évaluer de manière prudente les distances de sécurité entre les infrastructures et les populations environnantes. Les contraintes évoquées précédemment peuvent cependant être sensiblement différentes dans le cas d’un produit dont la sécurité est au cœur du développement. C’est par exemple le cas de l’avion à hydrogène.

Justement, pouvez-vous nous parler de votre travail au sein du projet d’avion à hydrogène ?

De manière générale, il convient de distinguer les futures infrastructures aéroportuaires de l’avion lui-même. Pour les premières, les approches issues de l’industrie sont utilisées dans l’optique de définir des distances de sécurité à la fois pour les passagers et pour le personnel de l’aéroport. Pour le produit avion, les contraintes sont très importantes si l’on veut conserver le niveau de sécurité actuel. Il convient donc de pousser la compréhension des phénomènes physiques au maximum afin d’être en mesure de proposer un design répondant à toutes les contraintes, dont celles de la sécurité.

Contrairement au développement des derniers avions (A350, A320neo), pour l’avion à hydrogène, nous partons quasi de zéro. L’approche mise en œuvre consiste à évaluer si les exigences définies pour le kérosène sont encore valides pour l’hydrogène. Cette approche permet d’identifier les points sur lesquels une évolution notable est nécessaire et fait apparaître des besoins de consolidation des connaissances. Par exemple, l’agression thermique d’une flamme de kérosène est-elle semblable à celle d’une flamme d’hydrogène ou est-elle différente ? Les exigences sur les structures capables de contenir un feu de kérosène seront-elles différentes pour de l’hydrogène ? Ce travail, important, est réalisé en ce moment et j’y prends part activement.

Ce travail s’accompagne également de mises à jour et de développements de nouveaux outils dont les besoins de validation s’effectuent en parallèle par la mise en place de tests expérimentaux et l’étude de publications scientifiques. Les recherches portent notamment sur plusieurs domaines comme la combustion de l’hydrogène, la résistance des structures, les aspects cryogéniques, etc. L’utilisation de l’hydrogène peut être vue comme un challenge du fait qu’il entre dans le domaine des extrêmes, qu’il s’agisse des températures de stockage cryogéniques ou des combustions/explosions plus violentes. Il s’agit d’un véritable travail d’exploration dans le champ de la physique.

L’objectif est donc de pousser la recherche toujours plus loin pour comprendre l’ensemble des phénomènes accidentels pouvant survenir sur un avion propulsé à l’hydrogène. Cela permet d’augmenter le spectre de nos connaissances des facteurs pouvant conduire aux risques. In fine, ce travail d’exploration nous permet d’anticiper les risques possibles, pour les éviter et proposer des solutions, designs ou infrastructures avec un haut niveau de sécurité.

À propos de l'auteur

Alban Mahon

Spécialiste Modélisation Phénomènes accidentels au sein d’APSYS.

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