Biogaz Magazine. Vous êtes l’un des coordinateurs des groupes de travail qui planchent sur la réduction des coûts mis en place dans le cadre du comité stratégique de filière (CSF). Cette réduction de coûts est-elle compatible avec le contexte d’inflation actuel ?
Olivier Guerrini. Le contrat de filière a été renouvelé fin 2021 par Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique et Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l’industrie, avec en filigrane l’engagement de structurer encore davantage la filière. Cette poursuite du soutien au biogaz est assortie de la condition de développer une filière française du biogaz d’excellence, avec des entreprises performantes et innovantes qui puissent exporter un modèle français. Les groupes de travail mis en place dans le cadre de ce CSF travaillent à améliorer la compétitivité du biométhane. Notre modèle de méthanisation français en codigestion, qui intègre de nombreux intrants, mélangeant solide, liquide, pâteux, et qui limite drastiquement l’utilisation de cultures énergétiques est plus complexe à mettre en œuvre, mais il est compatible RED II et RED III et peut devenir une référence pour des pays comme l’Inde ou le Brésil, les États-Unis et même l’Allemagne. C’est une formidable opportunité pour nos entreprises d’exporter des équipements et des process.
Le CSF a réaffirmé, sur le fond, ses objectifs de baisse des coûts. Or le contexte est à l’inflation, aussi bien des CAPEX que des OPEX. Cela touche aussi bien les nouveaux projets que les installations existantes. À cela s’ajoutent les arrêts de production causés par des ruptures d’approvisionnement de pièces. Les nouvelles réglementations, en matière de sécurité notamment, génèrent aussi des frais supplémentaires. Ce contexte montre qu’il est d’autant plus important d’optimiser la productivité de nos unités existantes ou à venir pour disposer de marges de manœuvre et les pérenniser.
Enfin, l’État, avec des fonds publics limités, va dans le sens de laisser le pilotage de la filière aux clients, induisant un changement de business model. C’est le principe des certificats de production de biogaz (CPB) que les fournisseurs de gaz naturel et leurs clients seront obligés d’acheter pour couvrir une partie de leur consommation de gaz naturel. Des clients qui pourront faire marcher la concurrence et acheter les certificats les moins chers. Il est là encore essentiel que le coût du biogaz soit compétitif.
Quels sont les axes d’actions possibles pour réduire les coûts et optimiser la production ?
Pour baisser les coûts, il y a trois grands axes fondamentaux : la massification, la standardisation et la digitalisation ; le tout dans une perspective d’industrialisation de nos unités. La taille minimum des unités est un des points clés, en étant de loin le levier le plus important.
La filière travaille pour proposer des équipements standardisés : bloc d’épuration, contrôle de commande automatique dans un premier temps, puis une offre qui se déclinera sur les autres composants des unités. Nous souhaitons que ces équipements soient en open book, disponibles pour tous.
La massification passe par la multiplication de ces modèles standard et la mise en place d’au moins 150 à 200 unités par an pour consolider une filière industrielle française. D’autres initiatives, comme les groupements d’achats, font partie de cette stratégie de baisse des coûts. Le fait d’avoir un gros volume permet des économies d’échelle sur toute la chaîne de valeur : vendeurs de composants, bureaux d’études en ingénierie, prestataires en analyse.
La digitalisation permet, elle, une productivité et une réactivité accrues pour une optimisation de la production de méthane par tonne d’intrants. Des jeux de capteurs associés à des modèles digitaux de pilotage biologique peuvent permettre un pilotage réactif. Nous bénéficions dans ce domaine de start-up qui proposent aussi des modèles prédictifs pour anticiper une acidose ou un moussage. En fait, la méthanisation est en train de passer au stade industriel. Une nécessité pour la gestion optimale de la sécurité des sites, mais aussi pour la productivité des biogaz.
Ce modèle est-il compatible avec la préservation des intérêts agricoles, qu’il s’agisse de retour de valeur pour les agriculteurs ou d’un bon retour au sol ?
Les agriculteurs, pionniers de la méthanisation, ont apporté de précieuses connaissances et permis des progrès importants. Certains s’en sortent bien économiquement, d’autres ont des marges de manœuvre limitées dans cette période d’inflation. Or, il est primordial, dans le modèle de méthanisation qui se dessine, que les fournisseurs d’intrants que sont les agriculteurs préservent une partie importante de la valeur apportée. Il convient aussi que les fournisseurs et toute l’activité générée localement puissent être correctement rémunérés. La taille des unités constitue à mes yeux l’un des points clés car, au-dessous de 50 GWh/an, le modèle économique à venir atteint ses limites. Nous pensons qu’une installation plus importante peut se conjuguer avec une installation plus vertueuse, d’un point de vue aussi bien environnemental (valorisation du CO2 biogénique) et sanitaire que sécuritaire. La méthanisation portée par des agriculteurs a sa place, à condition qu’elle soit industrialisée et de taille suffisante, quitte à être portée par un groupement. À côté de cela, il y a aussi une place pour des modèles plus industriels. Ceux-ci proposent une alternative aux agriculteurs qui le souhaitent, par une contractualisation de leurs apports en intrants et un retour en digestat tracé. Ce système permet aux agriculteurs de conserver la valeur de leur gisement (rémunération de la matière, récupération de digestat) et de se concentrer sur leur métier, permettant des pratiques agricoles durables tout en s’allégeant du poids d’un investissement qui se complexifie alors que les aides diminuent. Il ne faut donc pas opposer unité agricole et unité de territoire, mais il faut être conscient que les installations de méthanisation ne seront rentables, avec la trajectoire de baisse des tarifs, que dans le cadre d’une filière plus industrialisée. La collectivité ne pourra plus financer avec les tarifs d’hier. Cependant, nous allons vers un modèle français créateur de valeur pour le territoire et répondant à ses enjeux, avec des activités économiques et des emplois locaux, et une prépondérance d’entreprises nationales pour la conception, la mise en place et l’exploitation d’unités de méthanisation, en collaboration avec les acteurs locaux, dont, au premier chef, le monde agricole.
Au-delà des intérêts agricoles et industriels purs, aujourd’hui, notre enjeu commun est de contribuer à l’indépendance énergétique du pays et plus largement. L’Europe s’est fixé un nouvel objectif de production de biogaz de 35 Gm3/an (environ 370 TWh/an) à horizon 2030. En France, nous avons une fenêtre de 15 à 20 ans pour mettre en place une filière performante et devenir leader en ce domaine. C’est un défi collectif. Nous allons réunir un maximum d’acteurs autour de la table pour mettre en place différents outils, qu’ils soient financiers avec des fonds gaz vert ou opérationnels avec les démarches de design-to-value par exemple. L’accentuation de l’industrialisation se fera aussi par la formation de l’ingénierie et des différents acteurs.