Green Innovation. Pourriez-vous nous présenter la Smart Building Alliance et son activité ?
Emmanuel François. L’Alliance SBA est une association que j’ai cofondée il y a neuf ans pour accompagner tous les acteurs du bâtiment de la ville dans leur transition numérique et environnementale, avec cette vision que le numérique allait changer nos modes de fonctionnement et le mode d’organisation de nos sociétés avec une approche globale, transversale et non plus en silo. Nous préconisions des solutions ouvertes, standardisées, interopérables, interchangeables entre elles et qui permettent une évolutivité. C’était un pari qui nous a permis, grâce à cette vision, de rédiger des cadres de référence qui guident tous les acteurs dans la digitalisation de leur bâtiment ou des territoires. Aujourd’hui, la SBA, c’est 500 membres avec une très grande représentativité de tous les acteurs : des villes, des industriels, des énergéticiens, des financiers, des foncières, des maîtrises d’œuvre, des maîtrises d’ouvrage ; c’est donc très vaste.
Ces cadres de référence commencent à devenir des standards pour le bâtiment et la ville intelligente parce que nous allons très loin dans les définitions et dans les exigences, notamment concernant l’accessibilité et la structuration des données, la connectivité et l’interconnexion de systèmes hétérogènes. En fait, je peux vous dire que nous sommes en train de faire faire un pas de géant à toute l’industrie dans ce domaine en lui demandant de passer à l’ère numérique non pas au pas de fourmi, mais au pas de course.
Quels sont les enjeux de la décarbonation du bâtiment et son impact sur les filières ?
E. F. La décarbonation du bâtiment est un vaste sujet et le numérique y est incontournable. Premièrement, il permet une modélisation pour savoir dès la phase de la conception quelle sera l’empreinte carbone du bâtiment, à la fois dans sa construction et dans son exploitation. Il est également important lors de la phase de construction, par exemple dans le cas de la construction hors site, qui n’est possible que si l’on est capable via le numérique d’industrialiser le processus. Par ailleurs, nous savons qu’aujourd’hui les bâtiments ne sont occupés que 30 % du temps ; grâce au numérique, avec des solutions technologiques ouvertes et évolutives, on peut potentiellement augmenter considérablement le taux d’occupation en les rendant beaucoup plus évolutifs et flexibles dans les usages. Si l’on augmente le taux d’occupation du bâtiment de 50 %, on réduit de facto le besoin en mètres carrés dans le territoire concerné, entraînant une baisse considérable de l’empreinte globale du territoire. C’est un discours que l’on entend très peu. Dans certains cas, on va pouvoir transformer les bâtiments, mais, dans d’autres, on va être obligé de les détruire, et c’est là qu’il y a toute une chaîne à prendre en considération, qui démarre à la déconstruction. Cela veut dire être en mesure de retraiter localement une grande partie des déchets de la déconstruction, avec des énergies vertes de préférence, pour les réutiliser ensuite localement.
Une traçabilité de l’empreinte carbone des équipements utilisés dans le bâtiment est un sujet qui va aussi être progressivement pris en considération. Aujourd’hui, 90 %, voire plus, des équipements, comme les panneaux photovoltaïques ou des systèmes de ventilation, proviennent de Chine. Si l’on intègre dans l’empreinte carbone du bâtiment celle du transport de ces équipements, elle la fera exploser. Il devient beaucoup plus intéressant de les fabriquer en France. Ce sont des évolutions qui sont importantes, et cette décarbonation va permettre, en plus de réduire l’empreinte carbone, de relocaliser des industries dans les territoires.
Du point de vue des équipements et des infrastructures, la décarbonation a aussi des effets importants sur l’usage du bâtiment, sur son fonctionnement. Elle concerne notamment le choix des sources d’énergie, car la consommation énergétique est un point fondamental de l’exploitation d’un bâtiment ; c’est là que le numérique va jouer un rôle important parce qu’il va permettre le pilotage énergétique, l’arbitrage sur les sources d’énergie en fonction des usages, des besoins et de la disponibilité, et ce aussi bien à l’échelle d’un bâtiment qu’à celle d’un quartier.
Enfin, il est nécessaire de parler de l’empreinte carbone du numérique lui-même, qui est un sujet important pour la SBA puisqu’elle travaille sur un numérique qui soit le plus sobre et le plus durable possible.
Quels sont les travaux réalisés par la commission Carbon Footprint au sein de la SBA ?
Brahim Annour. La commission Carbon Footprint, qui a été lancée récemment, mène des réflexions avec des acteurs de l’ensemble de la chaîne de valeur sur l’accélération des objectifs de neutralité carbone qui font écho à la démarche entreprise par Gecina avec un objectif de neutralité carbone en exploitation à l’horizon 2030.
Nous partons du constat que nous sommes dans un contexte de transformation majeure de notre environnement. Des sujets comme la métropolisation, l’évolution des usages, l’urgence climatique et l’ensemble des enjeux écologiques, le bien-être, le partage de ressources sont de plus en plus pris en compte par les entreprises et, de ce fait, doivent être traités par chacune d’entre elles et par les institutions qui peuvent contribuer à établir les cadres de référence, comme la SBA.
La réflexion sur la décarbonation est menée au sein de la commission selon trois axes principaux. Le premier est celui de l’utilisation du numérique afin de réduire globalement l’empreinte carbone via une utilisation intelligente des différentes sources de production et de stockage d’énergie disponibles à différentes échelles (bâtiment, quartier ou via le réseau). Le deuxième axe de réflexion concerne l’utilisation du numérique afin d’optimiser l’analyse des cycles de vie (ACV) des matériaux et des équipements au moment de la conception. En effet, le numérique devrait notamment permettre un meilleur accès aux données et un pilotage optimisé des émissions de CO2 sur l’ensemble du cycle de vie : de la phase de conception jusqu’à la destruction et la réutilisation des matériaux en économie circulaire. Et, enfin, le troisième axe porte sur le fonctionnement des équipements afin de disposer d’une gestion intelligente de ces derniers en exploitation dans le but d’optimiser leur consommation et de facto leur empreinte carbone. Ces trois axes sont traités à la lumière des usages des utilisateurs qui sont au centre des réflexions.
Cette commission Carbon Footprint réunit des acteurs de différentes natures (industriels, promoteurs, propriétaires, bureaux d’études, institutionnels) qui sont répartis sur le territoire et qui interviennent à l’échelle d’un immeuble, d’un quartier ou de la ville. Cette pluridisciplinarité des participants fait la richesse des échanges, car nous construisons les réflexions avec des points de vue et des arguments assez complémentaires. Nous pensons qu’avec la SBA, ces acteurs ont un rôle clé dans la transformation sociétale et territoriale en faisant évoluer les modèles d’activités et la manière de gérer les actifs.
L’ambition de la commission est de formaliser une première version du cadre de référence en 2022.