Les acteurs de la filière biogaz se sont mobilisés pour faire remonter à l’État les difficultés que la crise de la COVID-19 entraîne sur leurs activités. De son côté, le ministère de la Transition écologique a pu prendre en compte des mesures pour répondre à ces problématiques. Après les mesures d’urgence sont venues celles de redémarrage, avant celles attendues du plan de relance. Retour chronologique et rappel des demandes et des mesures annoncées.
La filière unie
Les acteurs de la filière biogaz ont diagnostiqué les différentes difficultés auxquelles ils étaient confrontés et les ont communiquées à l’État. Un document assez complet, listant les problèmes et préconisant des solutions – que nous vous présentons synthétisé sous forme de tableaux dans les pages suivantes –, a été dressé par le Syndicat des énergies renouvelables (SER) dès le 25 mars. En réponse, le gouvernement a fait passer plusieurs textes.
De son côté, le Club Biogaz a souhaité recenser auprès de ses adhérents (bureaux d’études, constructeurs, développeurs et fournisseurs d’énergie) les retards dans les travaux et surtout dans le développement des projets. Voici des exemples de difficultés qui ont été remontées au Club Biogaz à la mi-avril :
– divers retards de chantier ;
– restrictions de mobilité pour les personnes et les marchandises ;
– difficultés pour organiser des réunions ;
– difficultés pour faire fonctionner les bureaux d’études et leurs outils (dessinateur, etc.) à distance ;
– difficultés pour lancer des consultations, pour la construction, la maîtrise d’œuvre ou le montage financier ;
– mise au chômage partiel des conducteurs de travaux et des personnels de bureau d’études, car les prestataires sont absents ou ne sont pas joignables dans le cadre des consultations pour le lancement des chantiers ;
– difficultés de fourniture en équipements et pièces détachées (parfois hors France) ;
– difficultés d’approvisionnement en intrants ;
– des délais administratifs supplémentaires, par exemple pour l’organisation d’une consultation publique (ICPE).
Du fait du retard des chantiers, le prolongement de l’assurance TRC (tous risques chantier, montages, essais) est possible (de deux à trois mois). Des conditions de mise en œuvre sont prévues par les contrats d’assurance, notamment la protection du chantier en cas de suspension (clôture, bâchage, surveillance pour les plus gros chantiers).
En cas de suspension du chantier, le Club Biogaz invite les porteurs de projet à vérifier les clauses de leurs contrats d’assurance pour le maintien des garanties.
Différents problèmes
Les différents acteurs de la filière (producteurs, porteurs de projets, constructeurs d’unités de méthanisation, bureaux d’études) n’ont pas tous les mêmes problèmes. C’est pourquoi l’association France gaz renouvelables, qui réunit en son sein ces différentes professions et a remonté toutes les données des différents acteurs du biogaz, a donc été « désignée » par ses membres pour être la force de proposition et le porte-parole de la filière auprès du ministère. FNSEA, AAMF et APCA pour l’aspect agricole, GRDF, GRTgaz pour les infrastructures gazières, FNCCR pour les territoires, mais aussi le think tank France Biométhane, la filière technique (ATEE Club Biogaz) et Biogaz Vallée sont donc ainsi représentés.
France Gaz Renouvelables a donc adressé le 7 avril un courrier à Laurent Michel, directeur de l’Énergie et du Climat au ministère de la Transition écologique et solidaire.
Ce courrier faisait tout d’abord état de la réactivité du ministère sur la mise en place des premières demandes exprimées, à savoir :
– des délais additionnels octroyés pour la mise en service des installations de production de biogaz qui sont en chantier afin de ne pas pénaliser les projets ayant pris du retard du fait de la crise sanitaire ;
– une suspension temporaire du contrat d’achat de biogaz pour les installations de production rencontrant des difficultés de fonctionnement, pour diverses raisons, comme le manque d’intrants.
Puis ce courrier relayait trois demandes :
– permettre la prolongation, pour toute installation ayant signé un contrat d’achat de biométhane, de son délai de mise en service (trois ans comme mentionné à l’article D.446–10 du Code de l’énergie), pour une durée égale à la durée de l’état d’urgence sanitaire majorée de trois mois ;
– autoriser une gestion annualisée du Cmax sur l’année 2020 pour permettre aux producteurs qui le peuvent de rattraper au moins en partie le manque à gagner imputable à la crise sanitaire ;
– mettre en œuvre des mesures financières et bancaires ou assurantielles pour les projets retardés et les installations qui n’ont pas pu produire du fait de la crise sanitaire.
La Direction générale de l’énergie et du climat (DGEC) à l’écoute
« À la suite de ce courrier, nous avons eu une réunion avec la DGEC le 22 avril, nous indique Cécile Frédéricq, déléguée générale de l’association France Gaz Renouvelables. La DGEC s’est montrée très réceptive et active pour mettre en place nos différentes demandes. Nous devons encore peaufiner les modalités. » Pour synthétiser ces besoins, rappelons quelques problématiques. « Pour ce qui concerne les producteurs, elles sont de plusieurs ordres, explique Cécile Frédéricq. La production de biogaz peut être entravée en cas de casse de matériel. Des difficultés d’approvisionnement en intrants ont également été repérées, notamment avec des industries agroalimentaires à l’arrêt. En parallèle, des productions périmées ont pu être introduites dans les digesteurs. Autre problème, plus rare : des difficultés d’injection sur le réseau, dus à une baisse de la consommation de gaz, ont aussi été détectées près d’usines à l’arrêt par exemple. D’où nos demandes de prolongation des contrats d’achat et d’annualisation du Cmax. La DGEC étudie ces éléments. »
« Pour les porteurs de projet, le plus gros impact concerne les interruptions de chantiers, avec des sous-traitants à l’arrêt et un manque de pièces détachées, qui pourront aussi causer des retards à la reprise, celle-ci pouvant de ce fait être lente. D’où nos demandes d’allongement des délais, tant du point de vue financier que du point de vue administratif. À ce sujet, le ministère a pris en compte un report égal à la période de confinement plus un mois pour les délais administratifs, et plus trois mois en cas d’arrêt de chantier. Ce ne sera pas de trop. Nous avons demandé à la DGEC de pouvoir effectuer un état des lieux en fin de crise sanitaire pour optimiser le cas échéant ces délais et les actions requises pour la reprise. Dans un deuxième temps, les porteurs de projet pourront aussi se tourner vers les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL) et les préfectures pour les aspects opérationnels de cette reprise. De leur côté, les gestionnaires de réseaux ont pu se mobiliser pour gérer les mises en service et les aspects relevant de la sécurité. »
Du côté des professionnels
Nous avons demandé à deux professionnels dont les sociétés couvrent à la fois l’exploitation, la construction et la maintenance quelles étaient les problèmes auxquels ils avaient été confrontés avec la crise sanitaire.
« Comme beaucoup d’entreprises, notre première action été de mettre en place une organisation avec télétravail et protection de nos salariés, explique Xavier Joly, directeur de Gaseo qui construit et exploite des unités de méthanisation et en assure la maintenance. Étant dans la filière déchets, nous avons des équipements de protection ; de plus, nous travaillons souvent sur des sites isolés, ce qui a permis de maintenir une activité opérationnelle sur le terrain. Ce qui a changé, c’est l’arrêt des interactions avec nos clients. Simultanément, nous avons aussi fait, dès le 16 mars, le point sur notre stock de pièces détachées et nous avons commandé le maximum de consommables de première urgence. Nous avions un mois et demi de stock et nous l’avons augmenté à trois mois. Nos fournisseurs sont européens (français, belge, italien, allemand) et, dans l’ensemble, malgré des délais de livraisons allongés, nous avons été positivement surpris, car nous n’avons pas rencontré de réel problème d’approvisionnement. Nous avons cependant appris à cette occasion que l’un d’eux se fournissait en Chine !
Pour une partie des matériels, la garantie contractuelle impliquait que les prestations soient réalisées par des salariés de nos fournisseurs non français. La filière française est encore jeune ne peut pas répondre à toutes les demandes. Une directive européenne a autorisé le travail transfrontalier. Mais seules les interventions ne pouvant pas être reportées ont été réalisées.
Nous avons réussi à assurer une continuité de service dans nos installations de cogénération et d’injection, ce qui était l’objectif. Nous avons toujours considéré nos fournisseurs comme des partenaires, en les payant en temps et en heure, et cette expérience de crise nous a montré l’importance d’avoir de bonnes relations avec ceux-ci, mais aussi d’en choisir qui proposent des produits de qualité. Leur réactivité fut en retour.
Concernant notre métier de constructeur, nous n’avons pas eu de problème entre des contrats se terminant et ceux qui allaient commencer. Nous construisons en atelier une part importante des installations, la mise en place sur site étant assez rapide. Nos techniciens et ingénieurs sont en outre polyvalents puisque nous leur demandons à la fois de construire, mais aussi d’exploiter. Nous l’avions fait pour que la conception prenne en compte la maintenance, mais durant la crise sanitaire, cela a permis en outre une meilleure organisation et nous n’avons pas eu d’impact sur l’emploi.
Pour la suite, je pense qu’il y aura un ralentissement, avec surtout un décalage des nouveaux projets, mais pas une annulation. Au contraire, on voit l’importance d’une production d’énergie locale, l’importance des projets locaux. La filière biogaz doit pouvoir en ressortir grandie. »
Économie non délocalisable
« La première mesure fut de mettre en place la protection de nos salariés, mais nous avons aussi eu recours pour partie au chômage technique, en fonction de nos différents métiers, explique Gregory Davy du groupe Keon. En effet, nous réalisons à la fois de l’exploitation et de la maintenance avec Sycomore, de l’étude et de la construction avec Naskéo et du développement en co-investissement avec Tergreen.
Nous avons bien sûr tout de suite lancé de nouvelles commandes et certaines pièces ont mis dix jours au lieu de deux pour arriver, mais comme nous avons en France quatre sites de stockage de pièces détachées, il n’y a eu aucune rupture, ni en production (construction de site) ni en exploitation (maintenance). Par ailleurs, nous conseillons toujours à nos clients d’avoir un stock de pièces de première urgence (pompe, broyeurs agitateurs), l’objectif, la stratégie centrale en méthanisation étant de rendre son unité disponible 100 % du temps. Et nos précautions se sont avérées très utiles.
L’activité laboratoire de l’INRAE a fermé un site, ce qui a créé une rupture [au 1er janvier 2020, l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) et l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (IRSTEA) ont fusionné pour devenir un institut de recherche unique : INRAE, NDLR]. Mais notre stratégie a toujours été d’inciter nos clients à avoir leur propre laboratoire interne pour réaliser les analyses basiques de suivi d’une unité de méthanisation. Pour ce qui est des intrants, mis à part un site industriel arrêté pour lequel nous avons dû trouver une solution, l’approvisionnement s’est fait normalement. J’ai pu noter que les agriculteurs se sont toujours débrouillés en approvisionnements. Un arrêt du transporteur ? Pas grave, on prend un tracteur et la benne ! En revanche, nous avons noté un décalage administratif qui a pu bloquer ou retarder certains chantiers. De même, nous avons observé aussi un retard sur les études au niveau injection, GRDF ayant priorisé ses ressources sur le terrain et son réseau. Mais nous n’avons pas eu de retard pour de premières injections par exemple.
Enfin, nous avons pu compenser en interne la non-venue de prestataires, du fait de la polyvalence de nos automaticiens.
Cette crise nous oblige à prendre du recul. Notre filière de biogaz, énergie renouvelable et non délocalisable, ne s’est pas arrêtée. Elle montre aussi ses atouts pour une reprise de notre économie. Doté de 100 % de capitaux français et d’un effectif de 65 personnes, le groupe Keon s’inscrit dans cette démarche de faiseur local. Gagner en autonomie énergétique, en même temps que mieux gérer nos déchets, favoriser une agriculture durable et créer de l’emploi local sera une clé dans la nouvelle économie. »