L’augmentation sans précédent de la population urbaine mondiale oblige nos sociétés à repenser l’espace urbain. En 2050, la population mondiale devrait atteindre neuf milliards d’êtres humains, dont 70 % habiteront dans les villes. Où trouver de la place pour loger anciens et nouveaux habitants ? Les métropoles ne sont-elles pas déjà engorgées ? Tels sont les défis des urbanistes et des architectes, mais aussi des responsables politiques.
La crise sanitaire de la COVID-19 semble changer quelque peu les mentalités. S’il est vrai que de plus en plus de gens souhaitent ou aiment habiter en ville, pour des raisons très diverses d’ailleurs, la pandémie a poussé un certain nombre d’entre eux à repenser leur lieu de vie. Beaucoup, en effet, veulent aujourd’hui quitter la ville pour la campagne.
Toujours plus haut
Néanmoins, l’urbanisation se poursuit à un rythme soutenu. Mais pourquoi donc les Occidentaux veulent-ils vivre dans une ville ? L’histoire, la géographie et la philosophie expliquent en partie ce phénomène. Le terme de civilisation, c’est-à-dire l’ensemble des caractères communs ainsi que les phénomènes sociaux de notre société, tire son origine du mot latin civitas, qui désigne la « ville » et de civis qui signifie « citoyen ». Dans notre société occidentale, la culture, et plus largement la civilisation, est fortement liée à la ville, à l’espace urbain. Pour autant, si les Occidentaux sont très attachés à la ville, à l’appartenance culturelle qu’elle incarne, ils sont également fascinés par la nature.
Néanmoins, ce phénomène urbain dépasse largement les frontières de l’Occident. Si l’on prend par exemple les trois premières grandes mégalopoles mondiales, on se rend compte qu’elles ne se trouvent pas en Europe ni en Amérique du Nord. En 2010, Tokyo, Mexico et Bombay étaient peuplées respectivement de 36,1, 20,1 et 20,1 millions d’habitants. En 2025, les trois plus grandes villes du monde seront Tokyo (36,4), Bombay (26,4) et New Delhi (22,5). En 2050, le trio de mégalopoles sera formé par Bombay (42,4), New Delhi (36,1) et Dacca, au Bangladesh, (35,2) (Source : Nations unies). L’axe des plus grandes mégalopoles du monde se déplace ainsi, de l’Occident aux XIXe et XXe siècles vers l’Asie et la péninsule Arabique au XXIe siècle.
Dans ce contexte marqué par le phénomène des mégalopoles, de nombreux acteurs, cabinets d’architectes, urbanistes et think tank, réfléchissent à la ville de demain et à ses nombreux enjeux. La densification va se poursuivre et le manque d’espace disponible poussera à la verticalité et à la valorisation des sous-sols. Dans ce dernier cas, le phénomène est déjà observé avec la logistique urbaine, en quête d’espace pour limiter les livraisons dans le dernier kilomètre.
En outre, la verticalité extrême continue de faire tomber les records de hauteur pour des immeubles habités. Les immenses gratte-ciel deviennent ainsi des « méga-cathédrales ». En Asie, en Orient et dans les pays du Golfe, c’est à celui qui bâtira la plus haute tour. En 2010, la tour Burj Khalifa, aux Émirats arabes unis, atteignait 828 mètres. En 2021, la tour de Djeddah, en Arabie saoudite, devrait culminer à 1 001 mètres. Là encore, l’Asie et l’Orient dominent l’Occident. Entre ces deux dates furent construites les tours Tokyo Skytree (634 mètres), Adraj al-Bait en Arabie saoudite (601 mètres) et Shanghai (632 mètres).
La cité idéale
Mais ces tours, qui pointent vers le ciel, sont-elles l’expression d’une solution verticale au problème horizontal, au manque d’espace ? Si l’on regarde la construction des gratte-ciel aux États-Unis, aux XIXe et XXe siècles, il ne s’agit pas de gagner en hauteur par manque de surface, mais bien de marquer la réussite d’une société et de son modèle, le capitalisme. Ce phénomène a aujourd’hui quitté l’Amérique du Nord pour les pays du Moyen-Orient. La verticalité ne répond pas à un problème de surface, mais impose un modèle, une réussite, et la hauteur symbolise toujours la domination. Il ne s’agit pas de densifier par le haut, car la construction de ces hautes tours nécessite de la surface. Il faut bien espacer les tours pour ne pas laisser le bas dans l’obscurité.
Manque d’espace, manque de logements, de services, d’écoles, de bassins d’emplois et même de culture ne sont pas les seuls problèmes que rencontrent les villes. Réduire la pollution et le bruit, proposer de meilleurs services urbains, toujours plus rapides et efficaces, sont également des défis auxquels font face les villes d’aujourd’hui. Face à l’explosion démographique urbaine mondiale, plusieurs pays ont imaginé la ville demain, la cité du futur. Qu’elles s’appellent KAEC (King Abdullah Economic City) en Arabie saoudite, Tai Jin en Chine, Masdar aux Émirats arabes unis, ou Woven City au Japon, elles partagent les mêmes caractéristiques : des villes vertes ; ultraconnectées grâce à l’Internet des objets (IoT), à l’intelligence artificielle, à la 5G, aux réseaux d’informations et à la robotique ; qui favorisent la mobilité durable et autonome, voire, comme Woven City, sans aucun véhicule, privilégiant la mobilité douce ; écologiques grâce à des équipements spéciaux, notamment pour l’énergie.
Le regard que nous portons sur la cité du futur témoigne de la difficulté que nous avons à vivre dans nos villes aujourd’hui, malgré, paradoxalement, l’attachement profond que nous avons développé pour nos cités. Ainsi, beaucoup de villes attirent encore de nombreux habitants, grâce à leurs performances économique, culturelle, voire sociale ou sociétale, mais sans pour autant atteindre les critères de la ville idéale, celle qui est rêvée, fantasmée ou plus concrètement, planifiée.
Face à la verticalité orientale, une nouvelle forme d’habitat urbain émerge aux États-Unis. À Cupertino, en Californie, l’Apple Park est un ensemble architectural horizontal en forme d’anneau, construit sur le modèle des universités américaines. Apple n’est pas le seul grand groupe à s’intéresser à l’architecture et à l’urbanisme de la ville de demain. Les GAFA travaillent sur des projets du type Apple Park, c’est-à-dire des cités nouvelles, ultraconnectées et qui ressemblent finalement à leurs clients. D’ailleurs, Google fait de son siège une véritable ville et efface la frontière entre les domaines privé et professionnel. Comme les grands industriels américains du XIXe et du début du XXe, les GAFA inscrivent leur suprématie dans la pierre et les innovations technologiques. En vivant dans la ville de leur employeur, en utilisant les crèches, les salles de sports et les espaces culturels de l’entreprise, les salariés deviennent pour ainsi dire la propriété du groupe qui les emploie. Ils sont les nouveaux « GI », les « GAFA Issues ».
La ville de demain existe-t-elle déjà ?
Et si la ville de demain existait déjà ? En effet, pourquoi créer de nouvelles villes, ce qui ne réglera pas les problèmes dans celles existantes, alors qu’en rénovant l’ancien, il est possible de faire mieux que du neuf ? Car construire de nouveaux écoquartiers ne réglera pas le problème de la perte d’énergie dans les bâtiments anciens, par exemple. La ville existe, parfois depuis des siècles, s’est transformée au gré des catastrophes, des décisions politiques, des guerres, des innovations, etc. La réaménager, l’améliorer, la rendre plus verte et durable répond aux attentes des habitants. Or nous disposons des techniques et des technologies pour faire de nos villes des espaces durables. Il ne s’agit pas d’une question de possibilité ou de faisabilité, mais de volonté, celle de l’ensemble des acteurs (politique, particuliers, associations, entreprises, banques, etc.).
Parmi les nombreux projets lancés pour rendre nos villes plus durables, le verdissement des centres urbains grâce aux forêts urbaines est très intéressant. Les arbres n’ont pas qu’un rôle esthétique, ou ne viennent pas seulement calmer les envies de nature des citadins. Ils ont d’autres rôles, très importants. Le cabinet Asterès a récemment indiqué qu’une augmentation de 10 % des espaces verts diminuerait les dépenses de santé de 95 millions d’euros. Par ailleurs, les zones boisées permettent de réguler la chaleur dans les villes, zones habituellement très chaudes.
Ce lien avec la nature, le végétal à tout le moins, est incontournable aujourd’hui. Il y a d’ailleurs de fortes attentes de la part des citadins, mais aussi de véritables souhaits de retrouver, à travers le végétal, ce rapport intime avec la nature. C’est tout le sens que nous donnons à la ville du futur.