Green Innovation. Le salon Produrable devait avoir lieu en avril. Vous l’avez reporté au mois de septembre. Comment vous êtes-vous adaptés à ce véritable choc sanitaire du coronavirus ? Avez-vous inséré de nouvelles thématiques dans les conférences du salon ?
Cécile Colonna d’Istria. Effectivement, Produrable était calé sur son agenda historique depuis 13 ans, c’est-à-dire fin avril, moment correspondant au pic de l’épidémie. Nous avons donc pris la décision, mi-mars, de repousser le salon au mois de juin, puis en septembre.
Nous avons tenu à maintenir l’évènement, car nous sommes optimistes, mais aussi réalistes. Notre objectif a été de le reporter et non de l’annuler, en espérant voir tous les indicateurs passer au vert, ce qui est le cas aujourd’hui. Par ailleurs, tout est affaire de comportements, c’est-à-dire que nous nous en remettons beaucoup à l’esprit civique, solidaire et responsable de nos visiteurs et de nos partenaires. Nous demanderons à nos visiteurs de venir avec un masque, mais aujourd’hui, tout le monde en porte un, notamment dans les transports en commun. D’ailleurs, le masque sera probablement obligatoire dans les salles de conférence.
Sur le fond, nous avons pris en compte la crise sanitaire dans le contenu de nos conférences, mais sans chambouler nos programmes. Nous étions sur une ligne éditoriale presque prémonitoire, « Solidarité, sobriété et prospérité pour un New Deal européen ». Or cette ligne a eu un sens plus marqué après la crise de la COVID-19. Malheureusement, cette crise nous a donné raison sur certains fondamentaux que nous voulions mettre en avant : sobriété, solidarité pour retrouver la prospérité à l’échelle européenne. À l’issue de cette pandémie, les priorités sont l’environnement, l’inclusion, la solidarité et le retour à une souveraineté industrielle et économique à l’échelle française, voire européenne. Nous avons fait évoluer un certain nombre de contenus. Par exemple, nos deux plénières d’ouverture des 7 et 8 septembre ont été retravaillées en prenant en compte la pandémie, la crise et le confinement, le tout orienté vers le « monde d’après » : comment sera-t-il ? Et comment le voulons-nous ? Car la mission que l’on assigne à l’entreprise va changer. Notre plénière du 8 septembre a été recentrée sur le lien entre la santé de la nature et celle de l’homme : « Homme-nature, une seule santé et un même combat ». Nous nous sommes adaptés à cette « nouvelle donne ». Nous avons par exemple préparé une conférence sur le télétravail, thème devenu majeur avec la crise sanitaire.
L’année dernière, vous écriviez que la France vivait une véritable « révolution sociétale » et que le rôle des entreprises était central. La crise sanitaire que nous venons de traverser n’accentue-t-elle pas ces tendances ?
Les pessimistes diront que tout cela ne va rien changer et que les entreprises continueront comme avant. Je ne le pense pas. La crise sanitaire va accélérer beaucoup de choses, comme le télétravail ou la relocalisation des filières de production, notamment sensibles. Cette crise nous a fait toucher du doigt les limites du commerce mondialisé. Cela fait longtemps que la responsabilité sociétale de l’entreprise pour un développement durable, pérenne, insiste sur local, le saisonnier ou le circuit court. Je pense que cette crise va accélérer un rééquilibrage.
Est-ce que le monde d’après verra une réorganisation économique et sociale ? On voit à tous les niveaux que les entreprises et les marques intègrent plus fortement les critères environnementaux et de gouvernance. Je vois un phénomène d’accélération.
« Sobriété, solidarité, prospérité » est la devise de cette édition 2020. Pouvez-vous nous expliquer ce choix ?
D’autre part, vous mettez en avant le New Deal européen. L’Europe est-elle la clé pour répondre rapidement aux enjeux de développement durable et sociétaux ?
Qu’y a‑t-il derrière ces mots et derrière cette idée de « new deal » européen ? Après la crise de 1929 aux États-Unis, le président Roosevelt avait proposé le « New Deal », un nouveau pacte pour relancer l’économie. L’Europe est aujourd’hui concurrencée par les États-Unis et le continent asiatique. L’Europe est par ailleurs une « vieille dame » dont l’organisation est relativement jeune, mais pour autant, je suis convaincue que l’Europe a de l’avance. Christine Lagarde disait récemment que l’Europe était le continent le plus en avance dans des domaines comme l’économie circulaire ou les innovations dans le développement durable. Au niveau financier, tous les investissements verts – green bonds – sont essentiellement réalisés en euros ; c’est l’euro qui porte les investissements verts. Donc l’Europe a vraiment un modèle à proposer. Elle doit proposer un nouveau pacte. On oppose aujourd’hui deux chemins : le capitalisme débridé, prédateur, qui ravage l’environnement et les hommes, et l’effondrement, la décroissance. Il y a une troisième voie, celle de la prospérité. Pour y arriver, il faut deux conditions : la sobriété et la solidarité.
La première doit être fournie individuellement et collectivement. Il ne suffit pas de passer au « vert », mais bien de changer nos logiciels, d’aller vers le mieux plutôt que vers le plus. Par exemple, il faudra voyager moins mais mieux, rééquilibrer notre alimentation, bannir totalement le plastique à usage unique, etc. Il faudra quitter définitivement la logique de l’économie linéaire. Il ne suffira plus de compenser les émissions carbone en plantant des forêts, mais bien de réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES).
La seconde est le corollaire de la première. Il faut inclure tout le monde, ne laisser personne sur le bord de la route : éducation, accès à l’eau, accès à la terre, aux soins, etc. Le partage est indispensable. Il faut se saisir de ces trois axes, sobriété, solidarité et prospérité pour rebâtir l’économie européenne, mais sans concession sur l’environnement, l’inclusion sociale et le partage des richesses. L’Europe doit montrer l’exemple, car elle a un modèle à proposer.
2020 marque une nouveauté au salon Produrable : les Master Class. Pouvez-vous nous en dire plus sur ces cinq rendez-vous ?
Produrable est un évènement très concentré, en 48 heures. Nos formats sont rapides. Mais certains sujets méritent d’être approfondis et travaillés en petits groupes. Les thèmes des cinq Master Class que nous avons choisis sont des enjeux importants. Ces séminaires de travail sont réservés à de petits groupes, une vingtaine de personnes pour chaque séminaire. Ces Master Class vont se dérouler en même temps que le salon. L’idée est de travailler pendant quatre heures, avec des experts, sur une thématique importante qui représente en fait un véritable enjeu.
Nous avons choisi cette année : la transition alimentaire des villes ; la comptabilité multicapitaux, c’est-à-dire qui prend en compte les volets social et environnemental dans la comptabilité ; la raison d’être, qui était d’ailleurs le thème de l’édition 2020 ; l’engagement des collaborateurs ; le management dans l’entreprise durable.
Ces cinq sujets nous paraissaient dignes d’être travaillés en profondeur. Nous pourrons échanger avec les participants. C’est la vocation de ces Master Class.
Interview réalisée par Boris Laurent, le 7 juillet 2020 .
Salon Produrable
Palais des Congrès de Paris
7&8 septembre 2020