Fragilisé par la hausse des cours du pétrole, la diminution des quotas et la multiplication des restrictions de zones de pêches, le secteur de la pêche connaît une crise durable. Si les grands « navires usines » tirent leur épingle du jeu grâce aux économies d’échelles et une réglementation européenne favorable, la pêche artisanale attend des solutions garantissant des revenus suffisants au maintien de l’activité des marins pêcheurs français. L’initiative Fish2EcoEnergy, de l’association France Pêche Durable & Responsable (FPD&R), soutenue par de nombreux acteurs, ambitionne d’apporter une solution durable et accessible à la filière en réduisant la consommation énergétique des navires grâce à l’équipement d’une motorisation hybride et une amélioration des techniques de pêche actuelles.
Avec ses 7 235 navires, la flottille de pêche française emploie directement 24 000 marins et indirectement 70 000 personnes. Derrière ces chiffres se cache une réalité contrastée. Plus de 80 % des effectifs métropolitains travaillent dans la pêche artisanale, représentée par les bateaux de moins de 24 mètres. Alors que les navires de taille supérieure, mieux équipés, capables d’évoluer en haute mer, captent des parts de marchés croissantes, la pêche artisanale voit sa santé économique réduite d’année en année. L’activité est ainsi fragilisée par la baisse des stocks et la diminution des quotas alors que les zones de pêches diminuent avec l’instauration de zones maritimes protégées (Natura 2000, parcs éoliens offshore…) pour favoriser le renouvellement des ressources halieutiques. Cependant, c’est surtout la hausse du prix du pétrole qui accélère la faillite de nombreux armateurs. Depuis 2005, le prix du litre de gazole a presque été multiplié par trois, passant de 25 à 70 centimes. Avant 2008, les charges liées au carburant représentaient 20 à 25 % du chiffre d’affaires, contre 40 % en 2013. Or, pour pouvoir survivre, les pêcheurs considèrent que la consommation de carburant ne devrait pas dépasser 20 à 25 % du chiffre d’affaires. Sachant que la consommation moyenne d’un chalutier de pêche représente 10 à 11 tonnes de gazole par semaine, soit de 7 000 à 9 000 euros, de nombreux pêcheurs ont dû arrêter leur activité faute de rentabilité. Des innovations ont bien été proposées, portées notamment par l’allégement des bateaux, des chaluts plus fluides, des logiciels embarqués ou une conduite maîtrisée, mais chaque nouvelle hausse du cours du pétrole entame l’investissement consenti. Surtout, alors que les bateaux de pêche ont en moyenne vingt-cinq ans, le coût d’acquisition d’un navire neuf d’une taille de 20 à 23 mètres avoisine les 3 à 4 millions d’euros. Conjuguée à ce coût élevé, la fluctuation des prix du pétrole freine les investissements nécessaires par manque de visibilité.
C’est dans ce contexte morose que l’association France Pêche Durable & Responsable entend insuffler un nouvel essor à l’ensemble de la filière. Considérant la crise énergétique et la fragilité des ressources naturelles comme autant d’opportunités de développer le secteur, le fondateur et président de FPD&R, Jacques Bigot, avait fixé pour objectifs au projet Fisch2EcoEnergy de proposer aux professionnels de nouvelles technologies rapidement disponibles et financièrement accessibles, à même d’intégrer les enjeux législatifs, économiques et environnementaux, aujourd’hui autant d’obstacles pour les marins pêcheurs. Pour y répondre, le projet Fish2EcoEnergy entendait proposer une baisse des charges liées à la motorisation avec une économie immédiate de 35 à 40 % sur le coût du carburant, tout en préservant la sécurité et le caractère opérationnel des navires existants. Avec l’aide de l’Europe, de l’État, de la région Nord, du département du Pas-de-Calais et de mécènes privés, le projet a pu récolter 3,7 millions d’euros, qui, après avoir acquis en 2008 le chalutier de 22,5 mètres, La Frégate, a permis à FPD&R de dépenser 1,5 million d’euros pour la motorisation et la transformation et 2,2 millions d’euros pour tester des techniques alternatives et innovantes de pêche.
Du gaz naturel pour réduire la facture énergétique et les émissions de CO2
Concrètement, le projet Fish2EcoEnergy s’axe d’abord sur le remplacement des moteurs diesel au gazole par des moteurs électriques alimentés par un générateur au gaz naturel. Les travaux d’alimentation au gaz naturel de La Frégate III font suite à une première phase de transformation de la propulsion du navire (septembre 2012 – avril 2013). Cette phase a conduit à installer un système de propulsion dite « hybride » : un moteur électrique, alimenté par un groupe électrogène fonctionnant au gazole, remplace le moteur diesel pour propulser le navire. Les premiers essais en mer avec La Frégate ont commencé en avril 2013 et ont permis, sans même l’usage du gaz naturel, de réduire de 20 % la consommation énergétique.
Depuis janvier 2014, le navire fonctionne au gaz naturel. Dix bonbonnes stockant du gaz naturel sous une pression de 200 bars y sont installées. Ces dernières contiennent environ 580 m3 de gaz naturel, l’équivalent de 500 litres de gazole. D’abord décompressé, le gaz naturel est ensuite injecté dans le groupe électrogène à hauteur de 50 % et jusqu’à 75 %, en complément du gasoil, ce qui représente pour le navire une autonomie en gaz naturel d’environ douze heures. L’alimentation bi-fuel ainsi utilisée permet une économie horaire estimée à 10 euros, soit plus de 1000 euros pour cinq jours en mer. Enfin, la combustion du gaz naturel émettant moins de CO2 que celle du gazole, l’innovation permet une diminution de la production de CO2 de 80 %.
Le projet démonstratif permettra dès le début 2015 d’étendre l’utilisation de ce type de carburant sur d’autres navires. Il sera ainsi possible d’évaluer précisément la fiabilité de la technologie, les espérances de rentabilité du système de carburation au gaz naturel, mais aussi de permettre de faire évoluer la réglementation liée à ce type de navire qui est encore un obstacle à sa généralisation.
Des recherches sur les nasses et les chaluts
En parallèle du volet « motorisation » et en partenariat avec l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer), Fisch2EcoEnergy travaille sur la mise au point de techniques de pêches alternatives ou complémentaires au chalutage. C’est ainsi qu’est testée depuis novembre 2013 sur La Frégate la pêche à la nasse à poisson déjà pratiquée en mer du Nord et dans la Manche par d’autres pays. Ces essais devraient permettre d’évaluer, en conditions d’utilisation complètes, le potentiel environnemental et économique de cette technique de pêche encore peu connue sur les côtes françaises. Enfin, toujours avec l’Ifremer, France Pêche Durable & Responsable travaille sur l’optimisation du rendement des chaluts. Deux chalutiers ont ainsi été équipés de chaluts expérimentaux qui devraient eux aussi permettre un gain énergétique qui pourrait représenter 15 % du total et qui viendrait s’ajouter aux gains apportés par la motorisation hybride. Là encore, le projet, s’il est concluant, vise à faire agréer ces innovations pour l’ensemble de la filière pêche, nationale et internationale.
Des obstacles doivent encore être franchis
Les innovations apportées par l’initiative Fish2EcoEnergy font toutefois face au cadre législatif européen actuel sur la pêche, lequel ne permet pas dans l’état de mettre en pratique et de manière économiquement et techniquement viable l’intégralité des projets. Pour la seule motorisation hybride, le retour d’expérience montre ainsi certaines difficultés liées à la législation sur la jauge brute (UMS), autrement dit le volume intérieur du bateau, pour laquelle un navire ne peut déroger. Plus encombrant en l’état, le matériel embarqué pour la motorisation hybride oblige ainsi à réduire l’espace de vie et les zones de passages ainsi que l’espace nécessaire au travail de préparation et de tri des poissons. Toutefois, la présence de Frédéric Cuvillier, ministre des Transports, de la Mer et de la Pêche, lors de l’inauguration de La Frégate à Boulogne-sur-Mer en février 2013 laisse présager un soutien actif des autorités pour une innovation qui a le mérite de conjuguer préservation de l’emploi et réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Illustration © Fish2EcoEnergy
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