GREEN INNOVATION : Début juin, avec votre collègue député Christian Bataille (PS), vous avez rendu public un rapport d’étape sur « les techniques alternatives à la fracturation hydraulique pour l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels ». Ce rapport a été adopté à l’unanimité par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, alors que selon deux récents sondages, moins d’un Français sur trois (30 %) et moins d’un dirigeant d’entreprise sur quatre (23 %) jugent l’exploitation du gaz de schiste « compatible » avec les enjeux liés à la transition énergétique. Comment expliquez-vous une telle méfiance des Français envers le gaz de schiste ?
Jean-Claude LENOIR : Au cours d’un débat auquel participait Christian Bataille sur LCP, dans lequel la voix des opposants à cette exploitation se faisait entendre de façon argumentée, les internautes et téléspectateurs interrogés ont répondu à 76 % qu’il fallait exploiter les gaz de schiste pour relancer l’économie. L’enquête que vous citez ne traduit pas une méfiance des Français et des dirigeants d’entreprise envers le gaz de schiste, mais la vision dominante dans notre pays de la transition énergétique : un passage immédiat aux énergies renouvelables, en particulier solaire et éolienne. Lorsqu’on dit « transition énergétique », un réflexe conditionné se produit dans les cerveaux : « fin des hydrocarbures ». Cette vision n’est pas assez pragmatique. Savez-vous quelle énergie « de transition » les Allemands ont choisie ? Le charbon ! Ils n’hésitent pas à substituer au gaz et au nucléaire cette source d’énergie très polluante et fortement émettrice en gaz à effet de serre, mais très peu coûteuse, parce que le passage aux énergies vertes sera cher, long et complexe. Je soutiens pour ma part que les hydrocarbures non conventionnels peuvent être pour la France une formidable ressource pour cette période de transition, créatrice de richesse, d’emplois, et de revenus permettant notamment de financer la transition.
GREEN INNOVATION : Il y a quelques mois, l’ancien Premier ministre Michel Rocard déclarait : « La France est bénie des dieux. Pour l’Europe, elle serait au gaz de schiste ce que le Qatar est au pétrole. » Quelles sont nos connaissances exactes des ressources en hydrocarbures de schistes sur le sol français ?
Jean-Claude LENOIR : C’est la première question à se poser. Aujourd’hui, nous ne savons pas. Notre connaissance des réserves globales du sous-sol français métropolitain repose sur des estimations théoriques de l’agence américaine d’information sur l’énergie, fondées sur la nature géologique de notre sous-sol. Dans sa dernière livraison, qui date de quelques jours, l’agence estime le potentiel en France à 3 900 milliards de mètres cubes de gaz et 4,7 milliards de barils de pétrole. L’agence a révisé à la baisse son estimation pour le gaz, qui ne date pourtant que de 2 ans. C’est pourquoi nous défendons l’idée qu’il faut en avoir le cœur net, ce qui est possible assez facilement : on peut savoir si des hydrocarbures sont présents grâce à l’échographie sismique, et là où ils sont présents, avec quelques dizaines de puits à fracturation hydraulique, savoir s’il existe des réserves économiquement exploitables. Les entreprises françaises maîtrisent parfaitement ce processus et pourraient le faire proprement sous le contrôle des DREAL et des scientifiques.
GREEN INNOVATION : En 2011, le gouvernement Fillon (qui a interdit la fracturation hydraulique) a prévu la création d’une « Commission nationale d’orientation, de suivi et d’évaluation des techniques d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux » ainsi que des programmes d’expérimentations scientifiques dans ce domaine. Qu’est devenue cette commission ?
Jean-Claude LENOIR : Elle est d’autant moins devenue qu’elle n’est même pas née ! Avec Christian Bataille, nous réclamons sa mise en place et qu’un programme de travail soit rapidement établi. Le débat sur les hydrocarbures non conventionnels a pris un tour tellement irrationnel que la France a interrompu toute recherche, dans un domaine où pourtant ses scientifiques et ses industriels sont parmi les meilleurs au monde. C’est un comportement obscurantiste d’un autre âge.
GREEN INNOVATION : La fracturation hydraulique, qui constitue la seule technique employée aux États-Unis pour extraire le gaz et le pétrole de schiste, peut-elle évoluer vers des alternatives moins agressives pour l’environnement ?
Jean-Claude LENOIR : La fracturation au propane est également employée en Amérique du Nord. Mais il n’y a pas d’autres techniques aujourd’hui opérationnelles. L’étude que nous avons menée et l’audition ouverte à la presse que nous avons organisée le 18 avril ont montré que la fracturation hydraulique avait été considérablement améliorée ces dernières années, et que tous les moyens techniques permettent de faire face aux inconvénients environnementaux qui ont été décrits, notamment la consommation et le retraitement de l’eau, le risque sismique, et les additifs au fluide de fracturation. Resteront les inconvénients inhérents à toute industrie : il faut des emprises au sol, des transports, des installations pétrolières et gazières, dont il faut minimiser autant que possible les conséquences paysagères. Mais les Français ne pourront pas conserver leur niveau de vie en misant tout sur le tourisme et l’agriculture, et Dieu sait que je suis attaché à ces deux activités ! Nous avons l’expérience de l’exploitation des hydrocarbures en France, y compris de la fracturation hydraulique. Ce que nous avons visité nous a montré qu’aucun des dégâts décrits par certains films à succès ne s’est produit chez nous.
GREEN INNOVATION : Votre rapport a été adopté à l’unanimité par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques. Même au sein du gouvernement, certaines ministres laissent entendre l’intérêt économique d’une telle exploitation. Comment expliquez-vous alors le raidissement du Premier ministre et du président de la République sur ce dossier ?
Jean-Claude LENOIR : Nous ne constatons pas de raidissement du Premier ministre et du président de la République, mais ils restent sur la position résultant d’une loi votée, à la presque unanimité, par le Parlement, à la veille des échéances électorales de 2012. Ils observent l’évolution du dossier, le Président a pris connaissance de notre rapport et l’a indiqué directement à Christian Bataille. Le ministre du Redressement productif voit l’intérêt industriel d’une ouverture sur ce dossier alors que notre industrie est en plein marasme. La position officielle du gouvernement est donnée par la ministre de l’Écologie, qui est effectivement très fermée, bien au-delà, et nous le déplorons, de ce que prévoit la loi de juillet 2011. Elle craint que toute ouverture ne remette en cause la transition énergétique et que l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels ne mette un terme aux efforts en faveur des énergies vertes. Ce raisonnement peut se comprendre, mais nous essayons de démontrer le contraire : dans la période de transition, jusqu’à au moins 2050, nous aurons besoin de gaz et de pétrole, nous devons saisir la chance que nous avons peut-être de substituer une ressource nationale à des produits importés, tout en s’inscrivant dans une démarche de sobriété et d’efficacité énergétiques. Si cette ressource existe et que nous la conservons, nous finirons par l’exploiter à terme sous la pression des difficultés. En ce cas, notre transition énergétique aurait échoué.
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